Les Rêveurs

Les Rêveurs

Le rêveur et la pierre Caroline Lameloise

On dit que l’homme descend du singe et s’il descendait du songe…

Le conte ouvre toutes les portes, se faufile partout pour amener sa lumière.

Ainsi, je raconte dans les villes et les villages, la tête dans la lune, les pieds sur la terre ou sur le béton. Aussi bien auprès des vieux qui ont vu la vie eux que d’enfants et de jeunes en difficultés, dans les quartiers où flambent les poubelles, en prison et également dans les musées.

« Les Rêveurs » est né au Centre d’Arts modernes Georges Pompidou.

Le conte art primitif, art premier invité au temple de l’art moderne contemporain.

Les Rêveurs, c’est un chemin de contes entre rêveries et œuvres à imaginer de Matisse à Sonia Delaunay, c’est la fille de fabrique qui a souvent mal au cœur quand l’amour la pique pour un garçon blagueur, c’est Henri, c’est Otto, c’est Jean le Bienheureux, c’est Sonia et c’est Nickie, c’est Pablo, c’est l’Afrique de Awa et Sidiki.

Les Rêveurs, c’est Sékou, ado du 94, casquette sur la tête, smartphone dans la poche, qui se retrouve un jour à écouter des contes malgré lui au centre Georges Pompidou et qui n’a pas envie d’être là et ça se voit.

Sékou, ce jour-là, il lui est arrivé une histoire extraordinaire… Il faut l’entendre pour le croire.

Les Rêveurs, c’est un chemin de contes et de réalités. Où commence lune  finit l’autre ?

Pour rêveuse et rêveur à partir de 9 ans.

Durée : 1h20

Fortunes de Mer Fortunes de Terre

Fortunes de Mer      Fortunes de Terre

De 600 millions d’années en arrière à aujourd’hui en terre d’Armorique.En chemins de vie, de mémoires et d’imaginaires, de contes et de récits, « Fortunes de mer, Fortunes de terre » est un voyage extraordinaire dans le temps et dans l’espace.

Paule, du haut de ses 6 ans dans les années 1930 voit un ange danser sur les dunes de sable, le P’tit Léon et son hameçon magique est emporté dans les airs par un grand oiseau noir, Huguette de Kermouster et sa veille race de patates…

Du coin menteur au port d’Erquy à chez Gaud à Loguivy, de Traou Nez aux carrières d’Erquy.

Pour rêveuse et rêveur partir de 9 ans.

On dit que l’homme descend du singe et s’il descendait du songe

L’ombre et la fleur Caroline Lameloise

XX ou XY !? Des Filles qui ne se laissent pas faire…

 

XX ou XY ?  Des filles qui ne se laissent pas faire…

Dans la vie, on naît XX ou XY, on est fille ou on est garçon. On choisit pas son prénom, on choisit pas où on naît mais, fille ou garçon, on peut choisir sa vie. Pour cela, il faut bien du courage…

De Marie à Julie, de Awa et Sidiki à Zohra la rebelle, des filles, des femmes, sur qui il faut conter.

C’est l’histoire d’un garçon et c’est l’histoire d’une fille. Le garçon, c’est pas un vrai petit garçon et la fille, c’est une vraie petite fille. Au début du conte, ils ne sont pas là, au début du conte, elles ne sont même pas nées…

De l’une à l’un, soleils et lunes, en espoir de liberté commune, des contes et des récits du monde, d’hier et d’aujourd’hui pour se parler de cœur à cœur qu’on soit XX ou XY.

Durée : 70 minutes.

A partir de 10 ans.

 

Il existe une forme scolaire pour les enfants à partir de 7 ans (durée 60 minutes)

 

Les contes parfois ouvrent la voie du changement, la suit qui veut, la suit qui peut….

 

Les Mille et Une Vies

Les mille et une vies

Pour faire un conteur, qu’est-ce qu’il faut ? quelle graine, quelle fleur ?

Quand on me pose la question, qu’est-ce que vous faites dans la vie et que je réponds, je suis conteur, ça me fait toujours bizarre.

Je suis conteur. Je ne peux pas l’expliquer mais je peux le faire comprendre…

Le conte, c’est un papillon blanc, un jour de printemps, c’est un chien aux yeux rouges remplis de haine et de peur, c’est une un éléphant bleu qui déboule en pleine rue sur des patins à roulette, c’est un homme qui cherche la Vérité, dans une ville immense, c’est un vieux petit monsieur qui craque une allumette pour allumer un feu.

 

C’est un chemin de contes et de récits, un chemin d’homme et d’humanité, c’est mille voyages, mille rencontres, mille et une vies à raconter.

 

Les mille et une vies c’est aussi un livre préfacé par Henri Gougaud chez Albin Michel.

 

 

FLOC !

Floc !

 

Contes pour petits et grands, en plaisir code poésie et de rimes, contes pour petits, contes pour Noël, Noël en chemins de flocons de neige, contes d’hiver et de joie…

Dans la nuit de l’hiver, tombe du ciel, léger comme une plume, un flocon de neige. Floc ! fait le flocon en se posant doucement sur le sol.

Celle ou celui qui verra tomber le premier flocon, son vœu sera exaucé…

Floc, floc, floc. Sur la terre, sur la mer, la neige floque.

Floc ! Dans la nuit de l’hiver, galope un bonhomme de neige…

Floc ! Kokochka rêve de pondre un œuf de lune

Floc ! Dans la nuit de l’hiver naissent les filles des neiges aux yeux noisette.

Dans la nuit de l’hiver, nous n’avons peur de rien…

Floc ! Contes à jouer, à rire, à s’aimer, à semer la bonne graine de rêve en terre d’enfance et d’humanité.

Spectacle de Ludovic Souliman

A partir de 4 ans et peluche.

Durée 45 minutes de bonheur et de poésie.

Manque un papier

Le souhait le plus cher de mon père était de mourir Français.

 

Le souhait le plus cher de mon père était de mourir Français. Mais ce combattant des forces Françaises libres, remercié pour tous ses services rendus à la patrie, parlait médiocrement le français comme le stipule la lettre du ministère des affaires sociales en réponse à la demande de naturalisation qu’il avait faite trois ans plus tôt. Le choc aurait été trop violent pour lui. J’ai caché la lettre de ce refus à mon père. Je lui ai dit qu’il était trop vieux.

Jacques

Texte affiché au musée de l’émigration à Paris

 

Manque un papier !

Mes enfants sont nés en France, ils sont tous Français mais moi je suis toujours Turc.

J’ai demandé la nationalité Française. J’ai pas encore de réponse. Ma dernière demande est du mois de septembre 2006.

J’ai demandé à devenir Français parce que je suis ici depuis 34 ans. Je suis comme le Français maintenant.

Qu’est ce que j’ai à faire en Turquie ?

Même pour l’enterrement j’ai demandé à le faire ici. Qui viendrait visiter ma tombe en Turquie ? Personne.

Là-bas, c’est où je suis né, c’est où j’ai grandi. J’aime bien aller visiter mais j’ai plus personne là bas. Là-bas, c’est des souvenirs.

C’est la France qui m’a donné à manger, c’est la France qui m’a logé.

Moi, j’ai donné mon travail et la France m’a nourri et logé.

Et puis, j’ai eu ma femme et mes enfants, ici, en France. Ma tête est ici avec mes enfants. Mes racines, c’est ici maintenant.

C’est pourquoi j’ai demandé pour être Français.

J’ai pris ma décision il y quelques ans en arrière. J’ai mis mon costume et j’ai été demandé pour être naturalisé.

J’ai commencé mon premier dossier de naturalisation en 2002. Mes enfants m’ont aidé à écrire bien le dossier en Français.

J’ai ramené tous les papiers à la sous-préfecture.

Un monsieur au bureau m’a dit :

-Il manque un papier Monsieur.

J’ai ramené ce papier une autre fois.

-Non, c’est un autre papier qui manque.

J’ai ramené l’autre qui manque.

Il me dit :

-C’est encore un autre papier qui manque.

A chaque fois, c’était un toujours un papier qui manque.

Chaque fois je ramenais le papier et toujours, il manquait un papier.

Et il manque ça et encore ça et encore ça !

Comme ça, plusieurs fois par an en 2002, 2003 jusqu’en 2006.

Chaque fois, c’était pas bon. Chaque fois, c’était :

-Manque un papier ! Manque un papier !

Chaque fois, tout ce qu’il me demandait, je le ramenais.

Pendant quatre ans, c’était toujours le même homme derrière son bureau. Chaque année, il m’obligeait à ramener de nouveaux papiers.

Des fois, je ramenais les dossiers et je les jetais de colère à la maison. Les enfants me disaient :

-Calme-toi papa !

Je ne comprenais pas pourquoi il me faisait ça à moi.

Je restais calme devant lui mais il me faisait mal. Il ne regardait même pas mon visage, il regardait les papiers et il disait :

-Il manque un papier Monsieur.

Il me regardait jamais.

C’était toujours :

-Manque un papier.

En 2006, je suis arrivé avec tous les papiers et là, l’homme n’était pas là. C’était une femme à sa place. Je lui ai donné tous les papiers. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas besoin de tous ces papiers, que ça servait à rien pour la naturalisation. Elle m’a juste pris ma photocopie de ma carte d’identité Turc. Il me restait haut comme ça de papiers dans les mains.

Maintenant, j’attends la réponse. Je ne suis pas pressé.

J’espère avoir la nationalité Française avant les élections présidentielles pour pouvoir voter.

Le deux avril, j’aurai soixante ans et peut-être que je serais Français pour mes soixante ans.

Octobre 2007, huit mois plus tard…

J’ai eu mes soixante ans mais je ne suis toujours pas Français.

Demain, je dois faire renouveler ma carte de séjour pour pouvoir rester en France. Depuis trente quatre ans, j’ai ma carte de séjour comme étranger. Je suis toujours Turc. Et j’attends pour devenir Français…

J’avais l’espoir mais ça n’a pas marché. Ils m’ont rappelé pour me dire de donner encore d’autres papiers que j’avais déjà donnés avant. Alors, j’ai donné les nouveaux papiers. J’y comprends rien.

J’ai appelé plusieurs fois et ils m’ont dit d’attendre, que j’allais recevoir quelque chose.

Alors, j’attends.

J’attends. Mais j’ai toujours rien reçu, j’ai pas de réponse, rien.

J’attends.

Mai 2008.

J’ai eu 61 ans le mois dernier.

Maintenant, j’ai abandonné pour devenir Français. C’était toujours à demander quelque chose, toujours quelque chose qui manque, jamais les bons papiers.

Je suis tombé en colère contre eux. Je leur ai dis pourquoi vous faites ça à moi ? Ils ont rien dit.

J’ai laissé tomber. C’est dommage, j’aurais bien aimé devenir français.

Hamit, 61 ans.

Hip Hop !

La légende du Hip Hop

Palais du Littoral, Grande Synthe dans le Nord, ouverture de la saison culturelle, j’ai présenté un récit Manque un papier, la parole a choqué, dérangé, les mots lancés, derrière la fumée d’une cigarette d’un homme de dos, parlaient d’une réalité, d’une vie, d’un espoir.

A la sortie, des jeunes viennent me voir:

– C’est la première fois qu’on entend une histoire sur nos pères, sur notre quartier. C’est bien !

Je leur demande qui ils sont et ce qu’ils font.

– Nous on danse. On fait du Hip Hop.

– C’est possible de venir vous voir.

– Pas de problème. On est tous les soirs à la salle de danse.

ça a commencé comme ça et de soir en soir, je les ai vus s’entraîner comme des fous. J’ai écouté leur histoire, la légende du Hip Hop.

Hip Hop

 

Mon premier souvenir de danse, c’est des mouvements que j’avais vu à la télé. C’était l’époque 84, 85, j’avais 10 ans et j’ai vu danser Michaël Jackson dans ses clips. Je regardais la télé et j’étais fasciné. Comment arriver à faire des choses pareilles ?

J’ai vu ça et j’ai voulu faire la même chose. J’étais tellement timide que je me cachais dans ma chambre pour m’entraîner. On n’avait rien pour enregistrer, il fallait attendre que le clip repasse à la télé pour apprendre et bien décortiquer les mouvements, pour comprendre comment il faisait. C’est là qu’est né mon amour pour la danse.

Dehors, on allait jouer au foot aux pieds des immeubles avec tous les copains. C’était du foot de rue, on était plein à se retrouver aux pieds des blocs. En discussion entre nous on se disait :

-T’as vu le dernier clip de Jackson ? T’as vu comme il fait ce mouvement là ?

On s’est rendu compte qu’on était plein à aimer ça et à essayer d’imiter les mouvements. C’est par le foot et les jeux dehors qu’est née la danse de rue. A l’époque, le hip hop n’existait pas, c’était de la danse de rue.

On se posait pas de questions, on aimait danser et on voulait danser.

C’est à cette période qu’est sorti Break Street. C’était le premier film sur la danse hip hop. On a vu ce film, juste avant de partir au collège. On a compris que là, c’était pas Michaël Jackson, c’était d’autres sons, c’était des figures au sol, c’était les gars avec les gants blancs et les grosses lunettes qui faisaient des ondulations. On s’est mis à les imiter pareil.

Comme il nous fallait un miroir, on allait près de la grande tour, là, il y avait un magasin COOP. Les portes d’entrée étaient en verre et on pouvait se voir dedans. On dansait devant, le soir, le dimanche. Les portes en verre du supermarché, pour nous, c’était notre miroir. Autrement, on était toujours aux pieds des blocs. On allait sur un terrain de foot pour faire les acrobaties sur l’herbe où on allait sur les bacs à sables et là, c’était aussi l’entraînement pour les acrobaties. C’est là, où on a appris à faire des saltos avant et des trucs comme ça. Et derrière l’ancien Palais, on avait découvert un bloc en béton pour faire nos mouvements au sol et, chose incroyable, il y avait une prise électrique, dehors, où on pouvait brancher notre poste. On avait notre scène avec une prise pour brancher notre poste, c’était Bercy !

Toute la ville était devenue un centre d’entraînement à la danse.

Au début, c’était que des garçons du quartier. Chacun avait commencé tout seul dans sa chambre et on s’est retrouvé à danser, s’amuser ensemble, dehors.  Au début, on était trois, puis quatre puis cinq et à un moment, on était jusqu’à vingt, vingt cinq, à danser dans tous les sens. Chacun avait son truc ; un, c’était les acrobaties, l’autre, les mouvements au sol, l’autre, la danse robot. On était toujours à plein et toujours dehors. Quand il neigeait ou il pleuvait, on dansait dans les entrées des blocs. On avait la grande tour, on était à danser dans l’entrée. Dès que quelqu’un arrivait, on s’arrêtait pour le laisser passer et on reprenait l’entraînement jusqu’à ce  qu’une autre personne arrive.

On a fait ça pendant des années avant d’avoir une salle.

Notre première salle, on était au collège, c’était le concierge qui nous laissait rentrer dans l’espace jeune.

Cet homme nous a aidés alors qu’il n’était pas obligé. Normalement, il n’avait pas le droit de nous laisser entrer. On était une douzaine à venir là. On était les premiers à être là mais quand la ville a créé l’espace jeune, les animateurs sont venus pour nous dire :

-Bon les jeunes venez. Il va falloir payer une inscription pour avoir une carte.

Il a fallu rentrer dans le système d’horaire, il a fallu cadrer. Puis, on nous a parlé de sécurité, qu’il fallait un animateur spécifique pour les acrobaties. On s’est dit qu’il fallait qu’on trouve autre chose pour rester libre de faire comme on voulait. On s’est débrouillé pour avoir une salle de sport à l’école Buffon. On était une dizaine de garçons au début, puis c’est monté jusqu’à trente ou quarante. On s’entraînait dans notre salle et après, on rentrait chez nous. Tous les soirs, on dansait.

Pour les parents, la danse, c’est pas bien, ça sert à rien. Pour eux, c’était d’abord l’école et après, la danse. Si on voulait sortir pour danser, avec mon frère, on était obligé d’avoir des résultats à l’école.

Mais nous, la danse c’était notre vie, on ne pensait qu’à ça, c’était plus que du plaisir.

Un jour, il y a eu un concours de danse. C’est là, où on a vu des danseurs d’autres villes et d’autres quartiers. On a vu que ça dansait partout. On a vu que cette vague de Hip Hop était passée partout, dans tous les quartiers, dans toutes les villes.

A quinze ans, on a été voir une dame à la mairie qui nous aidait pour faire des activités. On lui a parlé de la danse. On lui a dit qu’on aimerait bien faire de petits spectacles pour les fêtes de quartier.

-Bon, je vais vous trouver une date et un lieu.

Ça a été notre premier truc de danse. Mais il fallait pas que nos parents nous voient faire ça. On s’est retrouvé à trois à le faire pour une fête de quartier. On faisait deux chorégraphies qu’on avait répétées comme des malades. Le public criait, les gens frappaient des mains. Ce jour là, l’ASTV était là pour filmer et on devait passer sur la télé locale mais pas question que nos parents nous voient. On a été voir le caméraman pour lui dire de ne pas filmer nos visages, ni le haut des corps.

Nous, quand on regardait la télé, le soir, avec nos parents, on voyait que les pieds. Nous on savait que c’était nous mais nos parents, non. Les parents disaient :

-Ah ! C’est bizarre, on voit pas leurs visages.

Ils l’ont su après par des voisins. Ils n’étaient pas trop d’accord. Dès qu’il y avait un problème à l’école, c’était à cause de la danse et alors, la danse, c’était mauvais. On en parlait entre nous. Des fois, un manquait parce qu’il avait volé un truc et il était puni par ses parents alors, on lui disait :

-Arrête de déconner, sinon, tu pourras plus venir et comment on fait sans toi ?

On était un groupe soudé par la danse. Chacun venait s’entraîner et repartait avec ce qu’il était, bon ou mauvais.

Au lycée, on a continué dans la salle de sport tous les midis. C’est grâce à un prof de sport qu’on a pu l’avoir. Ce prof, on a su plus tard qu’il était aussi danseur contemporain. Par hasard, un jour on l’a vu danser avec sa compagnie et on a compris.  Ce prof fait partie des gens qui nous ont vraiment aidés, qui nous ont fait confiance, comme la femme de la mairie ou le concierge de notre première salle. Si il n’y avait pas eu ces gens, on aurait pu basculer dans le rejet et dans la haine comme d’autres jeunes des quartiers. Il faut du positif pour pas basculer dans le négatif.

On était adolescent mais nous notre truc, c’état pas les filles, mais le hip hop d’abord. Pour nous, c’était trop fort de vivre ce qu’on vivait en spectacle, de vivre cette joie avec les gens. Les gens applaudissaient, criaient et tapaient des mains.

Un jour, le chorégraphe de Janet Jackson a organisé sur Roubaix une audition pour sélectionner des danseurs de hip hop pour une tournée professionnelle. Il y avait près de quatre cent à cinq cent danseurs venus d’un peu partout. On  a été dix danseurs de Grande-Synthe de sélectionnés sur seize. On s’est rendu compte de notre niveau ce jour là.

Tournée pendant deux mois en France, les danseurs ont été payés, nourris, logés. Une tournée avec un chorégraphe américain, c’était le rêve pour nous.

Le chorégraphe américain comprenait pas comment on faisait pour danser si vite. Nous, on lui a expliqué qu’on dansait pas plus vite que sur la vidéo de Break dance. Depuis des années, on faisait les  mouvements qu’on avait vus sur la vidéo de Break dance. Et là, on découvre que les vidéos qu’on regardait n’étaient pas au même format que les vidéos Américaines. En fait, quand elles ont été adaptées pour la France, elles ont été un peu accélérées. C’est pour ça qu’on dansait beaucoup plus vite que les danseurs Américains.  Pour nous, c’était la vitesse normale, c’était la vitesse des mouvements sur la cassette qu’on avait vu. Les Américains nous ont demandés :

-Comment ils font les Français pour danser à cette vitesse de dingue ?! C’est quoi ce truc de malade !

Notre force est venue de cette erreur de vitesse d’enregistrement de la cassette.

 

Après, j’ai réussi à avoir une autre salle sur l’Europe et là, c’était plus structuré, des filles ont commencé à venir s’entraîner avec nous.

A cette époque, j’avais eu mon bac, j’allais à l’université. J’avais moins de temps pour la danse.  J’ai eu mon DUT génie thermique mais, à l’époque, trouver du travail, ici, dans le Nord, pour ceux des quartiers, c’était encore pire qu’aujourd’hui. On te disait :

-Soit tu pars, soit t’auras pas de travail.

Des treize ou quatorze, d’origine étrangère comme moi qui ont eu le même diplôme, pas un n’a trouvé du travail ici. Ils sont tous partis sur Paris. Dans notre démarche, tu dois prendre en compte que tu es comme un étranger ici. Tu le sais, c’est réglé. Si tu vas chercher du travail, tu sais ça. Tu t’attends à ça.

Je suis le seul à être resté ici. Quand tu parlais de ça avec les profs, ils te disaient :

-C’est bon, tu vas pas nous sortir ton truc du racisme.

C’est simple de dire ça mais après, il faut le vivre. C’est là, où j’ai trouvé du travail dans un Quick. Tout le monde me disait :

-Woua ! Comment tu as fait pour avoir du boulot dans un Quick ?

Je leur disais :

-Mais attends, t’es malade ! Le Quick, c’est zéro, c’est rien.

-Quand même ! Comment t’as fait pour rentrer au Quick ?

C’était ça. C’était tellement incroyable pour nous de trouver du travail ici, à l’époque, qu’un boulot au Quick, c’était énorme.

A ce moment là, la danse était de coté, c’était mort pour moi. Tu te dis qu’avec des diplômes tu n’y arrives pas alors, la danse, c’est même pas la peine d’y penser.

Je continuais à aller de temps en temps danser avec les autres jeunes. Je me suis dis que c’était pas structuré, qu’il n’y avait rien alors que ça faisait des années qu’on était là. J’ai voulu monter un dossier pour montrer à la mairie ce qu’il y avait.

-Ouvrez les yeux. Voyez !

J’ai déposé un dossier en mairie en 98, à un gars du service culturel. Il me rappelle.

Il me rappelle pour me dire qu’il crée un emploi jeune à temps plein sur la ville pour le Hip Hop pendant cinq ans.

-Non ! C’est pas possible !

Là, il m’explique qu’ils font faire passer une annonce ANPE.

Je comprenais pas pourquoi faire passer une annonce alors que c’est moi qui avait monté le dossier et qui faisait l’activité sur le terrain. Il m’a dit que c’était la loi. L’annonce paraît partout et d’autres gars ont postulé. C’est des gens qu’on n’avait jamais vu nul part. A la fin, le gars de la mairie m’appelle pour me dire que c’était pas moi qui était pris mais un autre gars qu’on n’avait jamais vu. Comme par hasard, il s’appelait pas Abder ou Mohamed mais Anthony. Pour moi, c’était pas possible, c’était pas juste.

J’ai raconté tout ça aux autres danseurs, ils m’ont dit que c’était pas possible que j’ai pas le poste.

-Si c’est possible.

-Qu’est-ce que tu vas faire ?

-Je vais aller en mairie jusqu’à ce que j’ai une explication sur ce qu’il s’est passé.

-Nous, on vient avec toi.

A partir de là, j’ai été tous les jours en mairie avec trois autres danseurs pour savoir pourquoi ça c’était passé comme ça. On lâchait pas, on lâchait pas, on voulait une explication. A la fin, ils ont créé un autre poste pour moi. Je leur ai dit :

-Vous calmez le jeu mais on n’a toujours pas la réponse que l’on vous demande. Pourquoi vous ne m’avez pas pris sur le premier poste ?

On n’a jamais eu la réponse. C’est comme ça que j’ai été embauché.

J’ai voulu montré que la danse Hip Hop c’était quelque chose de bien. Tout de suite, j’ai lancé les cours avec les élèves des écoles du quartier. J’ai monté un groupe de danseur qui a cartonné. On a eu des premiers prix de spectacle à Paris. Les médias parlaient en bien de nous. On a été à Paris à l’opéra Bastille. La danse Hip Hop qui venait de la rue, qui ne devait servir à rien, gagnait des prix dans les concours avec d’autres styles de danse comme le classique, le jazz, le contemporain et dans les mêmes lieux, avec les mêmes jurys. Après, le regard des gens a changé en bien sur nous. Le hip hop à, peu à peu, eu sa véritable place.

J’étais en emploi jeune et il était possible d’être embauché à la mairie à la fin de mon contrat. Mais là, pour être fonctionnaire, il fallait être Français. J’étais né au Maroc et même si j’étais arrivé en France à l’âge de neuf mois, je n’étais pas Français. J’ai commencé à faire ma demande de naturalisation, trois ans, avant la fin de mon contrat d’emploi jeune. Je savais que c’était long et que beaucoup de gens, ici, n’avait pas réussi à l’obtenir. Je me suis présenté avec mes diplômes ; BAC, DUT, avec un papier de la mairie qui disait que pour que mon emploi jeune soit pérennisé, il fallait que j’obtienne la nationalité française. On m’a fait faire des tests de français. On m’a fait venir au commissariat de police pour passer ces entretiens. Je leur ai dis :

-Vous savez, avoir un BAC ou un DUT sans parler correctement le français, ça me paraît impossible.

-Monsieur, c’est la procédure.

Et là, à chaque fois, je revenais, c’était toujours un autre papier qu’il fallait ramener. Ça a duré un an, deux ans, trois ans. Comme je suis né au Maroc, je devais fournir des actes de naissance. C’est un document qui n’est valable que trois mois. Le Maroc, c’est à trois mille kilomètres et je ne peux pas aller là-bas tous les trois mois pour demander un acte de naissance. Chaque fois que j’y allais, j’en profitais pour le faire. Sinon c’était téléphoner à quelqu’un de la famille pour qu’il ait une dérogation pour qu’il puisse l’obtenir et ensuite me l’envoyer. A chaque fois que je retournais à la préfecture pour mon dossier, c’était :

-Votre dossier est bon. Ah ! Mais votre acte de naissance est périmé.

-Mais monsieur, c’est au Maroc les actes de naissance, je ne peux pas en avoir tous les trois mois.

-Oui mais c’est comme ça Monsieur. Il faut renouveler votre acte de naissance sinon votre dossier n’est pas valable.

Et à chaque fois, le dossier repartait. En plus, on ne te dit rien. On ne t’informe jamais si ça va aboutir ou pas. Tu attends sans savoir. Je pensais que je ne l’aurais jamais pour la fin de mon contrat. Je l’ai eu le 22 septembre 2003 et mon emploi jeune se terminait le 31 décembre.

Après, je suis arrivé avec mon papier à la mairie qui a fait tout de suite les formalités pour que je sois embauché.

Aujourd’hui, j’ai un poste à la ville de chargé de développement de la danse. Je continue aussi à monter des spectacles avec ma compagnie et à suivre le groupe de hip hop. Je ne suis pas seul, il y a d’autres danseurs qui donnent des cours et qui se forment professionnellement. Je suis heureux de voir ces jeunes qui se forment pour les métiers de l’animation, de la culture et de la danse.

On est parti des blocs, des entrées, à ce qu’on a aujourd’hui. Aujourd’hui, on a une salle de danse magnifique à l’Atrium, on a des salles de travail au Palais du littoral, on travaille avec des scolaires et des périscolaires, on prépare des spectacles, on fait des stages, de la résidence d’artiste. Maintenant, dans les cours de hip hop, on a des gens qui viennent de tous les quartiers, des pavillons aux blocs.

Aujourd’hui, le hip hop est dans la culture, il n’est plus que dans la rue. On se retrouve dans des scènes nationales, à discuter avec des chorégraphes, avec des penseurs, à monter des spectacles qui tournent sur des scènes de grand théâtre.

Je regarde tout mon parcourt, mon père qui est parti sans rien du Maroc, qui est passé par la mine et moi qui ai réussi à faire des études, qui ai eu la chance d’avoir ce travail dans la danse qui me plaît.

Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir vivre dans une maison avec le grand jardin pour les enfants mais je vois mes parents, eux, ils sont encore dans le bloc, dans le même bloc qu’à leur arrivée.

Mon histoire et celle du hip hop se croise et forme un tout. Au début, il y a eu des portes qui se sont ouvertes, des mains tendues et aussi tout le temps des barrières, parfois de grosses barrières. A chaque fois, j’ai cherché à contourner l’obstacle, à trouver des solutions. Au moment où j’ai été refusé sur le poste, j’aurais pu partir dans la haine, j’aurais pu tout claquer  mais non, j’ai toujours cherché des solutions.

On est parti d’un beau rêve d’enfant à la réalité d’aujourd’hui.

Lahcen, 34 ans.


1026 mètres

1026 mètres sous terre à la rencontre d’un homme de la mine….

1026 mètres

Dans ma famille, on est Lorrain d’origine depuis toujours. C’est pas loin de Metz ; c’est l’ancien pays minier. Moi, je suis un ancien des charbonnages de France, un ancien boyau rouge. J’ai commencé dans le métier de mineur parce que ça payait bien. Ça m’a plu tout de suite. C’était un métier dur mais il y avait une telle camaraderie entre les gars, c’était quelque chose de très fort.

A Fréling, Merlebach, Forbach, on tournait à quinze vingt milles bonhommes sur un puits, en cinq huit.

Mais c’est des époques de ma vie que j’évite de parler. J’en parle pas…

En septembre 2003, ils ont fermé le dernier puits de la mine où j’avais travaillé des années. Ils ont pas le droit de faire ça !

Je suis rentré à EDF en reconversion en 1985, quand ils ont commencé à fermer les mines et virer les bonhommes alors qu’il restait plein de charbon. Rien que dans la mine où je travaillais, il restait du charbon pour jusqu’en 2020 et il parle maintenant de faire venir des mineurs de Pologne pour les exploiter.

J’ai quitté la mine en décembre 85.

Juste avant de partir de la mine, j’ai perdu vingt deux copains sur un coup de grisou, vingt deux copains d’un seul coup.

C’était au mois d’août, c’était un poste de matin. Moi, comme quoi il y a un bon dieu quelque part, j’ai loupé le réveil ce matin là. J’avais vingt et quelques années en ce temps là, j’avais fait la fête d’enfer la veille au soir.

A cinq heures, les copains sont descendus. Moi, j’ai pas entendu le réveil.

A dix heures, il y a eu une sonnerie, on a des sonneries spéciales suivant les postes, les accidents, les incendies. Moi, j’ai entendu la sirène, ça m’a réveillé, c’était la sonnerie du puits où je travaillais. C’était la sonnerie pour un accident de fond.

Je me suis levé. J’ai pris ma voiture et je suis descendu pour voir ce qu’il se passait.

C’était dans la veine où je travaillais. C’était un coup de grisou…

Ils ne sont jamais remontés. Ils sont toujours à l’heure actuelle au fond à mille vingt six mètres.

Le grisou, c’est un gaz qui se mélange à l’air, quand il se trouve à neuf pour cent, il explose constamment. Pour l’arrêter, y a pas le choix, faut murer la galerie. C’est pour ça, qu’on peut pas les remonter, ils sont toujours sous terre à mille vingt six mètres, emmurés vivants dans le puits Wouters, le puits cinq.

J’y avais un petit cousin et que des copains.

Ils sont tous morts, un coup de grisou, on s’en sort pas.

Quand il y a l’explosion, ceux qui sont tout près, en tête de taille, ils meurent par le feu, complètement brûlés, ceux qui sont plus loin, en arrière de taille, c’est leurs poumons qui implosent sous l’onde de choc.

Tu pourrais repasser dans la taille, tu retrouverais les gars, assis, en train de bouffer leurs casses dalle, là, tout entier, avec tout l’intérieur détruit.

Sur un coup de grisou, les seuls survivants qu’il y a, c’est ceux qui sont au début de la galerie, quand ils entendent la déflagration, eux, trois kilomètres plus loin, ils ont le temps juste de se sauver, d’évacuer. Mais ceux là, au millimètre près, ils se souviennent des places des copains dans une taille, là ou ils sont morts, emmurés vivants. Parce que nous on les considère toujours comme vivants. On peut pas s’imaginer quelqu’un enterré dans un cimetière puis qu’est pas là. C’est comme pour les marins morts en mer, leur cimetière c’est la mer et nous on a énormément de mineurs qui sont là, morts dans la mine.

La mine, c’est une tombe, une grande tombe et les veuves de mineurs les pleurent comme les veuves de marins pleurent les marins disparus en mer.

A la mine, on avait aussi des kilomètres de galerie avec des tapis roulants, on y convoie le charbon vers un puits d’extraction et tout le charbon tombe dans des concasseurs, c’est des énormes machines qui cassent les blocs de charbon en taille plus petites. On a eu un nombre de collègues qui sont passés là-dedans. On retrouvait le casque ou la ceinture, des boutons…

Une fois, j’étais chef de taille, j’étais avec un petit cousin, on était assez proche, on arrachait le charbon avec une haveuse, c’est une grosse machine en acier avec des dents pour arracher le charbon en tête d’extraction, ça tourne en permanence. A un moment, mon cousin est parti en tête de taille et on a eu un semi éboulement, des blocs de dix, quinze, vingt tonnes. Mon cousin était en tête de front, il est tombé dans la machine, il a fait le roulé  boulé avec les pierres et tout dans les rouleaux. Quand on l’a récupéré derrière, c’était un truc déchiqueté mais le gars était encore vivant, il restait plus rien, il avait plus rien, il restait plus rien, juste le tronc et il râlait.

Et là, la seule chose pour quoi tu te bats, c’est terrible !

C’est que tu penses plus au mec, tu penses à la famille. Parce que le souci des houillères c’était de remonter le gars encore vivant. Parce qu’à partir du moment où le gars remonte encore vivant, tu touches rien, c’est un accident. Parce que tu touches pas pareil si le gars décède au fond sur un accident de fond.

Là, on a empêché les secouristes des houillères d’approcher pour le remonter avant qu’il meurt. On leur aurait mis un coup de pique dans le ventre pour pas les laisser passer.

On a fait un mur de nos corps pour les empêcher de passer.

On a attendu qu’il meure.

Ça a pas duré bien longtemps vu l’état où il était.

On peut pas s’imaginer ce qu’étaient les houillères, ça a son taux de morts. Tu vis avec ça constamment. On vivait avec une moyenne de cinq morts par mois dans les houillères sur l’ensemble du bassin houiller.

Pour se rendre compte de ce que ça représente, faut aller sur place, tu vois une stèle comme 14–18, t’as la même chose pour les morts des houillères, sur un mémorial, il rajoute les noms au fur à mesure.

J’ai vu des autres choses.

J’ai vu des éboulements quand il y avait un accident de fond.

Toi, t’es remonté, t’as fait tes huit heures de taille à gratter comme un cinglé. Là, t’apprends qu’il y a des copains qui sont ensevelis. Tu cherches pas, tu pars, tu redescends. Tu rentres dans une taille, c’est un énorme trou de charbon, tout noir, tu peux pas avoir plus noir que ça.

Là, t’as des copains qui sont là, ensevelis.

On a un repère, une conduite d’air qui passe sur tout le long de la taille, alors tu tapes dessus et les copains qui sont pris, si ils t’entendent, ils tapent dessus à leur tour, tu sais qu’ils sont vivants.

Là, tu grattes, c’est fou mais tu grattes, tu grattes, t’arrêtes pas.

Tu grattes, tu grattes, tu grattes.

Plus t’avance, plus tu tapes, moins ça répond et plus tu grattes.

T’arrives un moment où tu te dis qu’c’est pas possible !

Alors, tu grattes encore plus comme un fou.

Puis tu retrouves les copains…

Morts.

Ils ont plus de doigts aux mains à force de gratter dans le charbon pour se libérer.

C’est un souvenir qu’a plus de vingt ans mais t’y repenses comme ça.

Quand tu descends, quand tu pars le matin, c’est un matin qu’est pas comme les autres, c’est pas comme le gars qui part en usine. Non !

Tu t’attends.

Tu te dis, hier, c’était à coté, aujourd’hui, ça peut être là, demain, là-bas. Au bout d’un moment, tu te dis, c’était pas moi.

C’est pourquoi j’ai un immense respect pour les métiers de la mer. Tu luttes contre la nature mais tu peux rien faire contre la nature, la terre c’est comme la mer sous terre.

Ma femme supportait plus ce boulot là, c’est pour ça que suis parti à EDF.

Sans ça, je ne serais jamais parti, je n’aurai jamais quitté les houillères sans ma femme. Au niveau du métier, au niveau humain, au niveau solidarité, au niveau tout, je ne serais jamais parti.

On était tous pareil, tous des tâcherons, tous des crèves la faim et il faut que ça gagne !

Mais jamais un gagnait plus que les autres quand j’étais chef de taille. On marchait au nombre de bois, c’est à dire à l’avancement. Tous les un mètre vingt, faut boiser pour pas que ça s’éboule. On avançait. On avançait. Au bout d’un moment, on pouvait faire plus, eh! bien non, on s’arrêtait, on envoyait le mousse voir la taille derrière où ils en sont. Il revenait :

-Putain ! Ils en chient.

On arrêtait tout, on allait là-bas leur donner un coup de main et quand on remontait, on avait tous le même rendement. En haut, ils comprenaient pas, pour eux, c’était pas possible qu’il y en ait qui ne travaille pas plus que d’autre.

Quand on remontait, on retrouvait le jour. Après la douche où chaque mineur frottait le dos de son camarade, il y avait une étape entre le jour et la maison. On avait la bière boute qu’on appelait ça. On y allait systématiquement. La bière boute, c’était un espèce de bar tenu par une petite bonne femme grisonnante, comme un bar de marin, avec des œufs cuits durs, de la bière. On se retrouvait en sortie de poste et on buvait notre bière et on parlait et on parlait à chaque jour qu’on retrouvait. On se retrouvait là, le soir, parce que tu peux pas t’en aller comme ça.Tu peux pas !

Chaque journée, elle est gagnée et elle se fête.

C’est quelque chose que je ne retrouverai nulle part ailleurs.

C’est pour ça que quand ils ferment les mines aujourd’hui, c’est comme si les copains restés au fond, ils les ignoraient.

C’est pour ça, des fois, ici, on rencontre des gens, je discute avec quelqu’un et je revois un visage d’un copain que j’avais vu au fond et qui y est mort.

Tu repenses à eux.

Dans les périodes ou je me sens pas bien, ou t’as besoin de réconfort, sur du vivant, je le trouve pas, je le trouve par rapport à ces gens là, par rapport aux morts. Pour eux, j’ai pas le droit de flancher.

On vit pas qu’avec des vivants.

De tout ça, on n’en a jamais parlé et même nos gamins, ils en savent rien.

Je veux que les gens ils piochent là dedans, qu’ils se rendent comptent, qu’ils voient ce que c’était la Mine et les mineurs.

                                                                            Marc, 47 ans.

 

On vit pas qu’avec des vivants

Récit édité dans le Mille et une vies Albin Michel et lu dans Graines de mémoire Spectacle sur la mémoire du travail

Fernand Le Croquant

Tout fout l’camp !   Après la drôle de guerre en juin 1940, c’est la débâcle et la défaite de l’armée française. Vient le temps de l’occupation et de la collaboration.

Le rêve de paradis est de courte durée, les nuages sombres du fascisme et du nazisme couvrent l’Europe qui résonne du bruit des bottes et des cris des canons. 

Mais des femmes et des hommes refusent d’abdiquer et reprennent le combat dans la clandestinité. Ils sont les combattants de l’ombre. Aujourd’hui, nous les nommons résistants mais ils étaient qualifiés de terroristes par les nazis et le gouvernement de Pétain. 29660 d’entre eux furent exécutés comme otages comme Guy Mocquet, Gabriel Péri, Honoré d’Estienne d’Orves, Missak Manouchian et tant d’autres encore dont les noms inconnus résonnent en mémoire au coin de nos rues.

Voici la parole de l’un d’eux qui a survécu. Je l’ai rencontré, il y a quelques années en Bretagne où je semais des graines de mémoire dans le cadre d’un projet sur un village de vacances. C’était un vieux monsieur toujours occupé à bricoler quelque chose devant sa caravane. Ce jour là, je lui ai demandé d’où il venait. Il m’a répondu avec son accent :

– Frayssinet le Géla.

Je lui ai demandé de répéter et encore une fois il m’a dit :

– Frayssinet le Géla dans le Lot.

Et je n’ai rien compris à part le Lot.  Quel village dans le Lot ?

– Frayssinet le Géla.

– Frayssinet le Géla.

– Vous ne connaissez pas Frayssinet le Géla ?

– Non.

– Quoi, Vous ne connaissez pas Frayssinet le Géla !

Et là, le vieux monsieur s’est mis dans une colère terrible et il s’est mis à raconter ce qu’il s’était passé dans son village. Je lui ai demandé si on pouvait se voir pour en parler…

J’ai revu plusieurs fois Fernand, c’est son prénom et il m’a raconté Frayssinet le Géla dans le Lot.

Fernand Le Croquant

Mon père quand j’étais petit nous lisait Jacquou le croquant le soir à la lampe à pétrole..

Nous on pleurait en écoutant mon père quand on voyait Jacquou rentrer après la messe de minuit et passer devant les cuisines du château du seigneur où on faisait rôtir des cochons entiers alors que eux n’avaient rien à manger et qu’il fallait tout donner au seigneur.

Nous on pleurait en l’écoutant nous raconter cette histoire. On se sentait tous comme Jacquou le croquant. On était pauvre, mes parents étaient cultivateurs de tabac dans le Lot. On travaillait beaucoup et on n’avait rien. Il fallait tout donner au propriétaire.

Dans la région on avait gardé l’esprit de Jacquou le Croquant, on était tous un peu révolutionnaires.

En 1936, j’avais dix ans et j’ai écouté le front populaire et la montée du fascisme à la radio chez des voisins parce que nous on n’avait pas encore l’électricité. C’était des voisins juifs, des peintres venus de Paris qui s’étaient installés dans notre village du Lot. Ils achetaient des produits de la ferme à ma mère ; des œufs, du lait, tout ça. Ils avaient un poste à galène. On allait chez eux et on écoutait le front populaire.

Puis après on a entendu :

-Radio Paris ment ! Radio Paris ment ! Radio Paris est Allemand !

Je vais vous raconter comment je suis rentré dans le maquis.

Mon père ne voulait pas.

Mon père était de la classe 10. juste à la fin de son service militaire, il avait été rappelé pour faire la guerre de quatorze dix huit. Il a fait la bataille de la Marne où un général avait dit :

-Il vaut mieux se faire tuer sur place que de reculer.

Ça a été un véritable charnier, les deux frères de mon père y sont morts, mon père a été blessé.

En rentrant mon père avait cassé tous ses fusils de chasse. Il supportait plus les armes à feu. Il n’allait plus à la chasse alors que c’était un pays de chasseur.

Quand il a entendu l’ordre de mobilisation en 39, je m’en rappellerai toujours, il s’est adossé à la porte de la grange, il a pleuré, il a dit :

-Ça a servi à rien qu’on se soit fait massacrer en 14-18, aujourd’hui, il recommence.

C’est pour ça qu’il voulait pas que je prenne les armes dans le maquis.

Mon frère y était déjà. Il s’était sauvé dans le maquis pour échapper au STO en Allemagne.

C’était en 1944 et la division Das reich en remontant vers le nord a traversé notre région en semant la mort.

Ils sont passés par la vallée du Lot pour rejoindre la nationale 20.

Avant ça, en février, ils avaient fusillé vingt deux communistes à Boissières. Vingt deux communistes d’un coup ! C’est bien que quelqu’un leur donnait les noms. Ils les ont fusillés sur une route au bord d’un ravin. Les corps sont tombés dans le ravin mais sur le tas, il y en a un qui n’était pas mort, un miraculé qui a raconté comment ça s’était passé.

Puis ils sont passés par un village tout près du nôtre, Frayssinet le Gelat dans le canton de Cazals.

Ils étaient menés par un Français qui d’ailleurs a été exécuté à la fin de la guerre. Ils sont passés par une première maison où vivaient trois femmes. C’était la maison d’un Parisien qui avait une petite usine à Paris, c’est lui qui avait inventé le système pour ouvrir les boîtes à cirage et les colliers de serrage des durites.

Lui n’était pas là, dans la maison, il y avait sa femme de cinquante quatre ans, sa mère de soixante dix huit ans et la sœur de sa mère de quatre vingt deux ans.

En arrivant dans le village, un Allemand a été tué. En représailles, les Allemands ont mis le feu à la maison et ils ont pendu les trois femmes.

La maison n’a jamais été reconstruite, aujourd’hui encore, on peut voir ses ruines.

Puis la colonne nazie est arrivée sur la place dans le village de Frayssinet le Gela.

Il y avait des jeunes qui jouaient au basket sur la place. Les nazis les ont pris avec d’autres jeunes hommes, les plus grands, les plus costauds du village. Et ils les ont alignés sur le mur de l’église pour les fusiller.

Là, le père Mourguès qui tenait un restaurant sur la place quand il a vu que le peloton se préparait à exécuter son fils est venu en criant :

-Prenez-moi mais laissez mon fils !

Les Allemands l’ont pris et l’ont fusillé avec son fils et tous les autres hommes devant tout le monde. Il y a eu onze fusillés à Frayssinet.

Après ils ont enfermé tous les hommes dans l’église et ils les ont laissés là toute la nuit.

Après ils ont obligé la femme qui tenait le restaurant et dont ils avaient assassiné le fils et le mari de leur préparer à manger. Ils ont fait la bringue toute la nuit. On les entendait rire et chanter.

Dans la nuit, le père Laffont a cassé un vitrail de l’église pour s’échapper, il est parti par la route mais les Allemands avaient posté des mitrailleuses et ils l’ont mitraillé.

Le lendemain, ils ont obligé, les hommes du village à creuser une fosse au cimetière pour mettre les douze corps comme ça dans la terre sans cercueil. C’est qu’après la guerre qu’ils ont déterré les corps pour leur donner des sépultures.

Après ils sont descendus par la vallée. Il y avait un paysan qui labourait son champ avec ses vaches, ils l’ont tué aussi avec ses vaches comme ça, en passant. Ils l’ont tué en passant…

Ensuite ils se sont arrêtés à Tulle et là ils ont pendu cent vingt hommes dans les rues de la ville. On raconte qu’ils ont obligé les hommes à se pendre les uns les autres. Ils les accrochaient aux poteaux dans les rues de la ville. On les voyait en rentrant dans la ville là pendus dans les rues. D’ailleurs à Tulle, une de ces rues est devenue la rue des Martyrs.

La colonne est arrivée le 10 juin 44 à Oradour sur Glane et ça a été le massacre de toute la population du village.

Six cent quarante deux personnes ont été assassinées, des hommes, des femmes, ils ont tué deux cent quarante deux  enfants et même les vieillards.

A Oradour sur Glane, il y a eu quatre miraculés aussi. Il faut croire qu’il y a toujours des gens qui survivent pour pouvoir raconter ce qu’il s’est passé, pour pouvoir témoigner.

Aujourd’hui, le village d’Oradour est resté en ruines.

Il faut aller là-bas pour voir. Quand t’es là-bas, pas besoin de parler, suffit de regarder et les larmes te montent aux yeux.

Même des Allemands viennent à Oradour. J’ai vu des Allemands pleurer là-bas.

Après ces horreurs mon père m’a dit que je pouvais partir dans le maquis.

J’avais dix huit ans, j’étais encore un gamin.

Là, dans la forêt, on nous a appris le maniement des armes, comment se servir d’une grenade, d’une mitraillette. On nous a appris à faire la guerre. Mais c’était l’armée de l’an deux, on était habillé n’importe comment et il n’y avait pas trop de discipline.

C’est mon père qui nous a amené les armes qui avaient été parachutées. Je m’en souviens, il avait monté les armes dans le maquis avec sa charrette tiré par son cheval.

Pendant deux ans j’ai fait la guerre.

Celui qui dit qu’il n’a jamais eu peur à la guerre est un menteur.

A la fin, j’ai été incorporé dans l’armée régulière et on nous a donné des uniformes de l’armée américaine.

En 1945, quand j’ai été démobilisé, mon commandant voulait nous emmener en Indochine. J’avais dix neuf ans, je faisais pas encore de politique et le commandant, à la guerre, c’était comme mon père, je l’aurais suivi n’importe où.

Mais la majorité, à l’époque, c’était vingt et un ans alors ils nous ont donnés six jours de permission exceptionnelle pour faire signer les papiers d’autorisation à nos parents pour partir en Indochine.

Je me suis retrouvé à la maison. Il y avait Léon, mon chef de maquis, c’était un juif, il m’a dit :

-Tu sais ce que tu vas faire là-bas en Indochine ?

-Non.

-Tu vas aller te battre contre des gens qui veulent être libres et qui font comme nous on a fait contre les Allemands.

Alors je suis pas parti en Indochine.

Je suis parti chercher du travail. J’en ai trouvé par un copain dans la Haute Vienne.

C’était l’hiver, il faisait froid, j’avais plus rien, pour travailler je portais mes habits militaires. J’avais les pantalons, les chemises et une pelisse de l’armée américaine.

En janvier 1945, les gendarmes sont venus me trouver chez mon patron pour que je rende mes affaires militaires. Je pouvais garder mon pantalon et la chemise mais je devais rendre le reste. J’en ai pleuré. J’avais fait deux ans de guerre, on était en plein hiver, on ne m’avait rien donné.  J’en ai pleuré. Je pensais que j’avais bien mérité de garder mes affaires.

Depuis j’ai toujours gardé l’esprit révolutionnaire, à pas me laisser faire.

Aujourd’hui, j’ai plus de quatre vingt ans et c’est ce que j’ai dit il y a deux ans quand il a fait si chaud :

-Le capitalisme ne m’a pas eu ! Les patrons ne m’ont pas eu !

La canicule non plus !

Mimouna C’est mon histoire

Il faut absolument que tu rencontres Mimouna, elle a connu plein de choses sur le quartier, elle a plein de choses à raconter…

C’est ce que m’a dit Sedik. Alors, j’ai appelé Minmouna.

Elle est là, face à moi, sa tasse de café à la main. Maquillée, parfaitement coiffée, les ongles peints à la perfection, un léger parfum flotte dans la pièce. C’est une reine. Sa voix est douce et chaude, caressante, elle semble provenir d’un temps lointain, on y entend les souffrances, les joies, toute une âme…

 

J’ai huit enfants dont… J’ai eu huit enfants ; six garçons et deux filles, tous ne sont pas nés à Argenteuil. Mon histoire est l’histoire de beaucoup de femmes.

On est arrivé d’Algérie en 1950. On a habité Colombes puis Gennevilliers.

On est arrivé à Argenteuil en 1954. On habitait la rue Gounod, dans le quartier des Champiots, là où est une partie du Val Nord aujourd’hui

La rue Gounod, c’était une rue particulière, une rue cosmopolite, il y avait beaucoup de gens du Maghreb ; beaucoup de Marocains, d’Algériens, un peu de Tunisiens, des Français, quelques Polonais, des familles qui vivaient comme elles pouvaient là, des ouvriers venus ici pour travailler en France. Il y avait dans cette rue beaucoup de ceux qu’on appelait les marchands de sommeil.

Ce quartier n’existe plus et notre maison, aujourd’hui, c’est un rond point.

Quand je suis arrivée à Argenteuil, j’avais onze ans et demi et je suis allée à l’école Ambroise Thomas.

J’ai été mariée à 14 ans. On m’a mariée à 14 ans à Argenteuil.

A 14 ans, on n’a pas le droit de passer à la mairie, ce n’est pas légal mais ça se passait entre famille et c’était la parole donnée. Un imam venait et il donnait sa bénédiction et voilà, tu te retrouves mariée. On m’a mariée à 15 jours du passage du certificat d’études et je n’ai pas pu le passer et j’ai dû arrêter l’école. Je n’ai fais que l’école primaire. J’ai eu une enfance difficile dans une période compliquée en Algérie mais ça, c’est une autre histoire et je n’ai pas eu d’adolescence. Je n’ai pas de souvenirs d’enfance, c’est comme si j’étais née adolescente pour me retrouver maman.

C’est mon histoire.

J’ai continué à habiter chez mes parents, dans leur maison, rue Gounod, avec mon mari. On n’avait qu’une seule pièce et on vivait là. A 14 ans, j’ai eu mon premier enfant et à mes 15 ans, un deuxième enfant est né.

Un jour, mon mari est rentré et il m’a dit :

–  J’ai acheté une maison. On déménage aujourd’hui.

En fin d’après-midi, je vais dans la maison achetée. Je me souviens, j’avais 16 ans et j’arrive là-bas, dans le bidonville. Je vois ces baraques en bois avec du papier goudronné, la boue. J’ai dit :

–       Non c’est pas possible, j’habite pas là.

Il me dit :

–       Parce que toi tu te considères au dessus des femmes qui habitent là ?

–       Non, c’est pas ça mais moi, je reste pas là.

Il m’a dit :

–       C’est pas compliqué. Tu laisses mes enfants et tu t’en vas.

J’avais un fil à la patte. Je ne pouvais pas m’en aller sinon, c’est comme si j’avais été répudiée. Chez nous, c’est comme ça, c’est l’homme qui a le pouvoir, c’est lui qui décide. Sur ce, je suis restée là. Je crois que toute mon histoire a eu un fil à la patte.

De la rue Gounod, je suis allée habitée dans ce bidonville qui était là où il y a le parc des Cerisiers aujourd’hui. C’était à la frontière d’Argenteuil et de Cormeilles.

 

J’ai vécu là, trois ans et demi de ma vie. Ça a été très difficile de vivre là. C’était des baraques avec des toits en tôle et des pneus sur les toits pour qu’ils ne s’envolent pas. On n’avait pas d’eau, pas d’électricité. Mon père était un ouvrier mais jamais on avait habité dans un endroit sans eau et sans électricité.

On a aménagé notre cabane. Elle était belle notre cabane mais ça restait sans eau, sans électricité mais ça restait tout petit. On avait une petite cour en terre. On avait des cuisinières et des poêles à charbon pour se chauffer. On avait des bouteilles de gaz. On allait à la fontaine des Rosières qui est juste un peu au dessus pour aller chercher notre eau. On n’avait pas les douches, pour se laver, c’était le grand baquet en zinc. Pour la lessive, c’était à la main avec la planche et la brosse. On n’avait pas de sanitaires, pas de toilettes. On vivait comme des gens cinquante ans en arrière. On avait l’impression de se sentir comme des gens qui n’ont pas d’importance et qu’on laisse s’installer comme ça, par respect, je ne vais pas dire comme des animaux parce qu’on est des être humains. On se sentait amoindri par ce manque de considération envers nous. On ne sentait pas comme un être à part entière.

 

Il y avait la crainte pour nos enfants. Combien de temps on va rester là ? Comment ils allaient grandir ? Comment on allait évoluer ? Autant, on n’avait aucun souci pour le travail car en ce temps là, un homme quittait une place le matin, il en avait une autre l’après midi, mais est-ce que nos enfants allaient grandir dans ces baraques, dans cette gadoue. On avait beau vouloir être propre, on n’arrivait jamais à être totalement propre. L’enfant sortait cinq minutes pour revenir sali.

Mais j’arrive pas à en parler avec de la rancune ou de la rancœur parce que c’est une période où j’ai appris, j’ai beaucoup appris. J’en parle avec le recul. J’en parle pas avec regret. Le seul regret que j’ai de ce lieu, c’est le voisinage, les gens. On était solidaires. On était dans le partage. Dans la journée, on n’était qu’entre femmes, on apprenait des unes des autres ; les traditions des unes, les plats, les problèmes. Bien souvent, on était à partager un café ou un thé. Et on pouvait se parler de nos histoires de femmes, toutes les histoires de femmes qu’on pouvait avoir. Il y a des femmes qui étaient bien dans leur intérieur et il y a des femmes qui étaient plus mal dans leurs ménages. Il y avait des femmes battues, il y avait des femmes qui pleurent, des femmes qui se retrouvaient à arriver d’Algérie pour rejoindre leur mari, là-bas, elles étaient bien, elles vivaient bien et elles se retrouvaient là dans un bidonville en France. Pour les gens qui venaient d’Algérie, c’était inimaginable. Là-bas, la France, c’était le paradis, le progrès et tu te retrouvais là. Il y avait l’éloignement, la famille qui n’est pas là, l’exil. Les femmes parlaient de tout ça.

C’était une parole qui fait du bien, on pouvait se soulager, se soutenir.

 

Nos sorties en ville se limitaient à la PMI rue de Paradis. Un samedi sur deux, on allait à Croix Rouge. C’était nos sorties. On avait vraiment une vie très limitée.

Mais je veux garder ce souvenir d’amitié, de solidarité et d’entraide.

 

On est resté trois ans et demi dans le bidonville. On venait dans cette partie où est Val d’Argent et c’était des champs et des vergers. Il y avait des cerisiers, des pommiers, des poiriers. Il y avait des légumes cultivés par les maraîchers.

Jamais j’aurai pensé habiter un bidonville. Un bidonville, c’est même pas une ville bidon, c’est ta vie qui est bidon, c’est tout. On n’avait pas de vies mais c’est pas vrai non plus. C’est pas le rêve, de n’importe quelle femme, de vivre dans un bidonville loin de tout, dans les champs à aller chercher l’eau. J’avais la chance que mon mari allait souvent chercher l’eau et je n’avais pas à la porter. Mais je me souviens aller à la fontaine des Rosières pour accompagner les femmes pour puiser de l’eau. Sur le chemin, on regardait ces quelques maisons qui étaient le long de la route. On rêvait devant ces maisons.

 

Regarde là, ma ville.  Elle s’appelle Bidon,  Bidon, Bidon, Bidonville.

Vivre là-dedans, c’est coton.  Dans les chambres, l’herbe pousse.

Pour y dormir, faut se pousser. 

Les gosses jouent, mais le ballon,  C’est une boîte de sardines, Bidon.

Claude Nougaro

 

 

Tous les hommes travaillaient. Il y avait besoin de beaucoup de mains d’œuvre. C’est pour ça qu’on nous a fait venir au départ. Mon père a travaillé pendant des années comme OS chez Citroën. La France s’est bâtie dans ces années là avec tout ce travail. Pourquoi on a fait venir tant d’Algériens, de Marocains ? C’était pour les fonderies, pour les mines, pour les usines, pour tous les travaux, pour construire les routes, les immeubles. Tout ça a été fait au lendemain de la guerre de 39-45. On était Français à l’époque. L’Algérie était une colonie de la France.

On vivait difficilement aussi parce que c’était pendant la guerre d’Algérie. On n’était pas directement en guerre mais on sentait la guerre avec le FLN, avec le MNA. Avec la police ou les CRS, on a toujours été respecté mais il y avait toujours la crainte. Avec la guerre d’Algérie, on se demandait ce qu’on allait devenir. Est-ce qu’on allait nous renvoyer chez nous ?

 

C’est peut être pour ça que pendant longtemps, en France, on ne s’est pas occupé des familles Maghrébines.

 

Avec le recul, aujourd’hui, je me dis qu’on ne s’est pas occupé de nous parce qu’on ne savait pas la fin de l’histoire.

La guerre d’Algérie s’est terminée et peu d’Algériens sont retournés là-bas et beaucoup de réfugiés sont revenus ici. Il y avait un terrible problème de logements et ce n’était pas que pour les Algériens, il y avait beaucoup de familles de Français qui étaient très mal logées aussi.

Ce qui est différent d’aujourd’hui, c’est que nous étions tous logés à la même enseigne. On n’habitait pas là parce qu’on n’avait pas les moyens, on habitait là parce qu’il n’y avait aucune considération pour es familles qui arrivaient d’Afrique du Nord. Rien n’était prévu pour nous loger. On nous laissait construire des cabanes. Les hommes, les maris travaillaient en usine, les femmes étaient là, il y avait des enfants qui naissaient, les familles vivaient là. J’ai vécu là. J’ai eu un troisième enfant. Puis on est parti.

 

Je me suis aperçue que j’ai squeezé une partie de ma vie parce que quand on me demande le bidonville et les HLM, je dis qu’on est parti du bidonville pour aller au HLM mais ce n’est pas vrai, des souvenirs me reviennent, entre les bidonvilles et le HLM, je suis retournée un peu à la rue Gounod puis à Sartrouville dans des logements qui  ne sont pas pour des être humains qui se respectent. On est parti au bout de trois ans et demi du bidonville toujours dans l’espoir d’un mieux vivre mais à Sartrouville, on s’est retrouvé dans un garage transformé en logement par son propriétaire. Là, j’ai eu un autre enfant, mon quatrième.

 

Nordine, un de mes enfants a attrapé la polio et pendant  deux années, il a été soigné à l’hôpital de Garges puis ils l’ont transféré dans un hôpital spécialisé à Berck dans le Nord. On ne pouvait plus aller voir notre enfant si on restait là. Alors, on a déménagé. On est parti à Outreau vers Boulogne Sur Mer où étaient déjà partis mes parents. J’ai eu deux autres enfants nés à Boulogne.

On est resté deux ans et demi jusqu’à ce que Nordine sorte de l’hôpital. On est reparti en région parisienne, retour à la rue Gounod. On avait deux pièces pour vivre à six enfants et nous deux. On était huit dans deux pièces.

Sur le Val, on voyait des immeubles se construire peu à peu mais on se disait qu’on n’aurait jamais un logement là dedans. C’était pas pour nous. On ne voulait pas trop espérer pour ne pas être déçu. Puis on croyait plus les fausses promesses. Parce que quand on avait notre premier enfant, on avait déjà fait une demande en mairie mais à l’époque, on nous a dit qu’ils logeaient d’abord les familles nombreuses. Maintenant, qu’on avait 6 enfants, on n’avait toujours rien.

A force d’aller à la mairie pour demander, on a eu l’appartement. C’était en mai 1969. On est arrivé enfin en HLM.

 

Quand on a reçu l’avis qu’on nous attribuait un appartement au 13 rue de l’Ecureuil à la Berionne, on a été chercher les clés. On avait tellement peur qu’ils changent d’avis, c’était le 14 ou le 15 mai, ce jour là, on a pris les enfants en pyjama et on les a emmenés directement là-bas de peur qu’ils changent d’avis et qu’ils donnent l’appartement à quelqu’un d’autre. On est arrivé dans une camionnette avec quelques affaires et les enfants à moitié habillés. On était là-bas à l’aube. J’avais un de mes enfants, Morad, qui est décédé aujourd’hui, qui allait d’un bout de l’appartement jusqu’à un autre bout. Et il courrait comme ça d’un bout à l’autre de l’appartement sans arrêt tellement, il y avait d’espace. Il a fait ça toute la journée. Il y avait une grande salle de bains, deux cabinets de toilette, une salle à manger immense, une très grande chambre et trois autres de l’autre coté. La cuisine. La cuisine ! Moi qui avait toujours eu une minuscule cuisine, là, il y avait de la place. C’était un vrai changement de vie pour nous.

On est arrivé tous en même temps dans l’immeuble. La dalle était encore en construction. Le parc n’existait pas, c’était de la gadoue. Il n’y avait pas encore d’écoles de ce coté là. Les enfants devaient traverser de l’autre coté pour aller à l’école Paul Eluard qui était en préfabriqué. Ensuite tout s’est construit, il y a eu l’école Henri Wallon, le parc a été fait et la dalle s’est construite avec tous ses commerces. J’ai vu complètement naître le quartier. C’était une grande aventure.

Mais une fois qu’on a eu l’appartement, j’ai eu peur. Peur de cet espace, comment le remplir ? Dans le bidonville, on avait des lits cages, des toutes petites choses et là, il y avait tellement de place. Comment remplir cet appartement ? Mon mari avait toujours travaillé et on avait l’argent des allocations familiales mais on n’avait pas d’argent de coté. Alors, j’ai pris des tissus de robes arabes que j’avais pour faire des rideaux aux fenêtres. J’ai cousu des morceaux de tissu pour recouvrir de la mousse et faire une banquette dans la salle à manger. C’était un vrai problème pour moi de passer à deux pièces à ce truc géant. J’ai paniqué pendant un moment mais après, on s’y est fait très bien. On a meublé. On a fleuri. On a eu un intérieur qui petit à petit est devenu très agréable. C’était immense comme joie pour nous.

Le quartier a évolué et la dalle était très belle. La dalle était vivante ; il y avait des bons commerces, diversifiés, de belles boutiques ave des gens sympathiques. On avait plaisir à aller sur la dalle. C’était un endroit vivant où les gens allaient, se rencontraient, où les gens partageaient beaucoup de choses. A la Berionne, il y avait l’Union des femmes Françaises et on se rencontrait une fois par mois pour discuter d’un tas de choses. Il y avait l’Amicale des locataires. On était impliqué dans le quartier. Comme on est arrivé tous en même temps avec nos enfants, on amenait les enfants à l’école et cela a créé des liens entre nous. On a évolué, chacune à sa manière, mais on partageait beaucoup. Il y a eu les réunions Tupperware, les réunions Avon. Ça se faisait les unes chez les autres.

Il y avait vraiment une vie entre nous. C’était une vie entre femmes et avec les enfants parce que les hommes travaillaient. La journée, ils étaient à l’extérieur, heureusement pour nous. Ça, c’est un regret, cette vie, je ne l’ai pas retrouvé ailleurs.

 

Mais, tout a changé, après. Le quartier s’est dégradé, abîmé. Aujourd’hui, c’est devenu plus individualiste, plus personnel. Il y a toujours des gens qui font des choses mais ce n’est plus resté un milieu ouvert comme c’était. Beaucoup de choses simples essentielles à la vie commune ont disparu.

 

 

En 1978, j’ai perdu mon mari. Il s’était fait opéré de la vésicule biliaire et il a du y avoir une erreur. Il est rentré à l’hôpital pour une opération et il est mort huit jours plus tard. On ne sait pas pourquoi.

J’avais 34 ans et je suis restée seule avec mes huit enfants. J’avais deux solutions, où me remarier où l’assistanat, courir demander des aides. J’y suis allée une fois. On m’a dit d’aller au consulat. Ils m’ont donné trente francs et ils m’ont dit d’aller voir l’aide sociale. Je suis tombée sur une femme mauvaise. Elle me dit :

–       Votre fils, au lieu d’aller passer son bac, il ferait mieux d’aller travailler.

Je ne me souviens pas de ce qu’il s’est passé. J’ai senti ma tête partir en arrière et j’ai cogné le sol. Je me suis réveillée dans un bureau et je me suis jurée de ne plus jamais retourner demander de l’aide dans un bureau. Et-ce un bien pour un mal ? Je ne suis pas pour l’assistanat, voir des gens implorer de l’aide sans se donner les moyens, c’est mauvais. J’ai décidé de travailler.

Jusque là, à part la vie sur la dalle où je sortais seule, le reste, c’était toujours avec mon mari. Si je faisais les courses à l’extérieur, c’était avec mon mari. Et je me suis retrouvée avec mes enfants et, je ne savais pas faire mes courses, toute seule. Je ne savais pas le monde extérieur. Je ne connaissais rien en dehors du quartier, le plus loin, c’était peut être la mairie ou la sécurité sociale. Puis, j’avais besoin d’argent pour élever mes enfants. Les seules choses que je savais faire, c’était faire le ménage ou m’occuper d’enfants. J’ai commencé à garder des enfants chez moi pendant trois ans. Entre mes enfants et ceux que je gardais, j’en pouvais plus. Puis, j’étais toujours chez moi et cet appartement me parlait trop. J’en pouvais plus. J’ai arrêté de garder des enfants. J’ai été voir le médecin et il m’a dit qu’il fallait que je sorte, quitte à faire des ménages, il fallait que je change d’air. J’ai fais des heures de ménage au foyer de la Berrione et chez des particuliers. Mais ce n’était pas suffisant. J’ai été m’inscrire à L’ANPE. Je suis tombée sur un monsieur qui m’a demandé ce que je voulais. J’ai dis :

–       Moi, je veux des heures de ménage parce que ce que j’ai ne me suffit pas pour élever mes enfants. Il me faut plus d’heures.

Je lui ai dis :

–       Même si vous me donnez à nettoyer les chiottes de Saint Lazare, j’y vais.

Il me dit :

–       Mais vous n’avez pas d’autre ambition que de nettoyer les toilettes de Saint Lazare ?

–       Non. Je n’ai fais que l’école primaire jusqu’au CM2. Je n’ai rien.

Après, il m’a dit :

–       Mais au fond de vous, vous avez bien quand même quelque chose qui vous ferait envie ?

Je me suis dis, celui là est en tain de se moquer de moi, je vais me dépêcher de partir et je vais me débrouiller toute seule. Je lui ai dis :

–       En vous attendant, j’ai vu qu’il y avait de gens qui attendaient et qui ne savaient pas lire et écrire et qui ne parlent pas bien le français. Et il n’y a pas vraiment un bon accueil pour eux.

Il me répond :

–       A l’ANPE, il faut être Français.

Là, je me suis dis qu’il fallait que je me dépêche de sortir de là. Je suis partie.

Au bout de trois semaines, un mois, il me téléphone pour me dire qu’il y avait une association qui cherchait une formatrice pour s’occuper de jeunes en difficulté. Je lui ai dis :

–       Mais, Monsieur, je n’irai pas. Qu’est ce que je vais leur dire ? Je n’ai aucun diplôme. Ils vont se moquer de moi.

–       Je vous laisse les coordonnées et vous faites ce que vous voulez. Au revoir.

Et il raccroche. J’en parle à mes enfants, aux deux grands :

–       l’ANPE me propose d’aller dans une association où il demande une formatrice. Je ne peux pas y aller. Je vais me présenter devant des Français qui vont se moquer de moi. Qu’est ce que je vais leur dire ?

Ce qui m’arrive après, je raconte tout le temps. Mon fils, le lendemain arrive avec un paquet. J’allais l’ouvrir, mon fils me dit :

–       Attends maman ! Ce qu’il y a dans ce paquet, ce sera à toi de choisir, où tu vas y mettre des gamelles, où tu y mettras des livres.

J’ouvre le paquet, c’était un sac, un très beau sac.

Je dis à mon fils :

–       Mais, je n’ai jamais pris de gamelle dans mon sac.

–       A force de faire des ménages, un jour tu prendras une gamelle. Si Tu te présentes à la place, peut être qu’ils ne te prendront pas mais peut être qu’ils te prendront et tu pourras y mettre des livres.

Après ça, je n’avais pas le droit de me dégonfler. J’ai pris le train pour Cormeilles. Entre Val d’Argenteuil et Cormeilles, il y a une station. J’ai cru que ce train ne s’arrêterait jamais. Et me voilà à Cormeilles. J’ai d’abord fait demi tour. J’avais peur, je ne voyais pas ce que je pouvais dire à ces gens, je me sentais ridicule. Je n’avais jamais fait un entretien d’embauche. Finalement, j’y vais. A L’association s’appelait La Montagne Vivra. Deux femmes me reçoivent ; la directrice et son adjointe. Je leur dis :

–       Voilà, l’ANPE m’a dit de me présenter mais je j’ai jamais travaillé, je suis mère de famille, j’habite la ZUP. Et je raconte un peu mon histoire. Je me présente et je sais que vous ne me prendrez pas. Je n’ai aucune expérience, aucun diplôme.

Ils me disent :

–       C’est vrai qu’on a reçu des personnes et d’autres encore doivent venir et elles ont de l’expérience.

Je ne demandais qu’une chose, qu’ils me disent de m’en aller pour que je puisse dire à mon fils : J’y suis aller mais ils ne m’ont pas pris. Mais ils ne m’ont pas ça, ils m’ont dit que comme tous les candidats, j’avais un entretien avec le groupe de jeunes en difficulté. Je suis revenu et j’ai passé une matinée avec les jeunes. C’était une salle avec quinze jeunes de seize à dix huit ans, en majorité des Maghrébins et peut être quatre ou cinq Français. Ils avaient les pieds sur les tables, les cigarettes qui fumaient. Je ne savais pas quoi faire ni quoi dire. Au bout d’un moment, je leur dis :

–       Vous ne voulez pas vous présenter ? Moi, je viens pour un poste de formatrice.

–       Ah ! C’est toi qui viens nous parler de la famille.

–       Oui. De toute façon, je vais me présenter et je m’en vais. Je m’appelle Mimouna G, j’habite la ZUP d’Argenteuil et j’ai huit enfants.

–       Heu ! L’autre, elle a huit enfants !

C’est ce qui a déclenché la discussion.

–       Est-ce que tu as des filles ? Est-ce qu’elles sortent ou qu’elles sortent pas ?

A la fin, les jeunes me demandent de repasser le voir pour une journée porte ouverte à l’association. Quand ils m’ont dit ça, j’ai rigolé, je leur ai dis :

– Qu’est-ce que ça veut dire Journée porte ouverte, chez nous, la porte est toujours ouverte.

 

Après ça, j’ai eu un rendez-vous avec la présidente qui était à Pontoise et qui était avocate. Donc, je vais à Pontoise. Je rencontre la présidente qui d’entrée me dit :

–       Je préfère vous le dire, on recherche un homme parce que c’est un groupe qui est très dur et qu’il faut une poigne d’homme.

Je lui dis :

–       Je savais très bien que vous ne pouviez pas me prendre mais ça m’étonne de vous, de me dire qu’il faut une poigne d’homme pour des jeunes ou des enfants en difficulté. J’ai huit enfants et je n’ai pas besoin de hurler pour le faire entendre. Ça me surprend de vous. Vous êtes avocate et il y a à peine cinquante ans, des femmes se battaient pour porter la robe et pouvoir défendre et entrer dans un palais de justice. Je sais que vous ne me garderez pas mais j’ai fait le chemin pour dire, voilà, j’ai été jusqu’au bout. On se quitte comme ça.

Comme je l’avais promis aux gosses, je vais à la journée porte ouverte à Cormeilles. Les jeunes me voient et me font visiter tout ce qu’ils avaient fait. Je m’apprêtais à partir quand la directrice me dit :

–       On a quelque chose à te dire.

–       Oui, je sais.

–       Tu sais ?

–       Oui. Vous m’aviez prévenu qu’il y avait d’autres personnes avec expérience et moi, je n’ai pas d’expérience. Je suis venue parce que j’ai promis aux jeunes de venir.

–       C’est toi qu’on a gardé.

C’était un moment fort. C’était la première fois qu’on me reconnaissait quelque chose. Une confiance m’a été donnée. J’étais contente et avec beaucoup de peurs. Mais, tout de suite, j’ai été dans le bain et, tout de suite, j’ai été à l’aise avec ces jeunes. Et j’ai travaillé pendant vingt ans. Au début, j’ai été formatrice avec des jeunes. Après, j’ai voulu travailler avec des femmes dans des cours d’alpha dans une autre association. J’ai toujours travaillé dans le milieu associatif sur Cergy, sur Pontoise, sur Argenteuil. Mon évolution, je ne l’ai jamais demandée, c’est toujours la hiérarchie qui me proposait un poste au dessus de celui que j’avais. Ce qui était important, c’était le travail que je pouvais rendre au sein de cette association et le ce que je pouvais apporter aux gens. Ce qui était primordial, c’était ça. Le monde associatif, c’est un milieu particulier.  Quand on fait une chose et qu’on aime, on est impliquée, on donne et on reçoit, le plaisir est aussi pour nous. Mon travail ça a été un rêve.

Et le sac que m’avait offert mon fils, je l’ai toujours et j’y ai mis des livres.

Avant que je ne travaille, je ne parlais pas, je ne sortais pas.

Mon histoire, c’est l’histoire de plein de femmes.

Une femme écrivain, Leïla Seibar est venue plusieurs fois à la bibliothèque. Une fois, elle avait présenté un de ses livres. Il y avait eu un verre à boire après et je suis allée la voir car j’avais lu deux de ces livres. Elle me demande ce que je fais et  je lui raconte que j’ai perdu mon mari et que je suis restée seule avec huit enfants et que j’ai du aller travailler et voilà comment je suis devenue formatrice. Elle me dit :

–       Alors, c’est bien qu’il est mort.

–       Tu ne peux pas dire ça.

–       Ne le prends pas au premier degré. S’il était vivant, tu ne te serais pas découverte.

C’est vrai, mais c’est un grand prix, c’est payer cher le prix de la vie.

 

Le prix de la vie

 

Nos enfants, c’était notre priorité. Chaque parent va dire qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu pour leurs enfants. Mais vraiment, on a fait tout ce qui est en notre pouvoir pour eux, pour que chaque enfant ait ce dont il a besoin. Je me disais qu’on n’y arriverait pas. Un enfant a besoin quand on a un intérieur qu’il soit agréable, qu’il soi bien tenu. On ne voulait pas que nos enfants ressentent de privations. C’est une grande responsabilité que l’on a, d’être parent.

Je n’ai été qu’à l’école primaire jusqu’en CM2. A l’époque, on avait encore les cours ménagers où apprenait aux petites filles comment repasser, faire la cuisine, faire la vaisselle et le ménage.

Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris avec mes enfants quand ils ont été à l’école puis au collège. Je voulais tellement qu’ils réussissent que je lisais leurs leçons pour les aider à faire leurs devoirs. Je lisais avec eux. J’aimais lire. C’est ce qui m’a tenu et c’est comme ça que j’ai appris et que j’ai pu avoir un petit savoir, tout petit.

Mes enfants, je les ai portés et ils m’ont porté. C’est tout ce que j’ai. C’est tout ce que j’ai eu jusqu’à aujourd’hui. Mes enfants, c’est ma couronne. C’est ma force. Si j’ai fait les choses, c’est grâce à eux et pour eux. J’ai toujours vécu à travers mes enfants. J’ai eu le malheur d’en perdre deux.

Le premier, Mohamed en 98, il avait 24 ans. Mohamed aimait peindre, il jouait aux échecs. Il était plein d’envie. Il était sportif et souvent, il allait jouer au foot avec les jeunes de Montigny Un jour, il est allé jouer et il est tombé. Rupture d’anévrisme qu’ils disent…

Et six mois plus tard, en 99, Mourad, il avait 26 ans. Il est mort d’une overdose. Ça n’a pas de nom. Ça n’a pas de nom…

Quand ça a changé dans le quartier, dans les années 90, la drogue est arrivée. Et Mourad a touché à la drogue. Malheureusement, il en est mort. Et tout ce qu’on peut vivre avec un enfant qui se drogue. Même si c’est un homme, c’est un enfant et tout ce qu’on peut vivre avec lui, avec ce qu’il traverse, ce qu’on traverse avec lui, c’est très dur. On est tous entraîné dans sa galère, tous entraîné dans son mal être de la drogue. Il était prêt à tout pour en avoir. J’en veux à ceux qui font ça.

Depuis j’essaye de maintenir la tête hors de l’eau mais c’est difficile. Après tu as toujours la peur qu’il arrive quelque chose. J’ai toujours peur.

Ces deux enfants qui ne sont plus là ; ils sont là sans être là mais ils ne sont pas là. C’est le drame de ma vie. La vie est tout autre depuis leur décès. C’est très difficile. Heureusement, j’ai mes enfants, j’ai mes petits enfants et mes arrières petits enfants. J’ai 22 petits enfants, onze arrières petits enfants. Je suis une maman comblée.

 

 

Ce projet sur la parole, c’est bien et c’est mieux que bien, c’est la transmission. C’est ce qu’on peut raconter et ce qu’on peut entendre. C’est ce qui est nécessaire pour que continue de vivre les lieux, les gens. La parole, c’est ce qui sert pour transmettre et sans transmission, on se meurt. Si les personnes du quartier ne veulent pas parler de ce quartier, il ne restera rien de ce quartier. Il y aura les immeubles mais l’histoire ne sera pas là.

Récit écrit à partir de paroles collectées.

Ludovic Souliman, décembre 2013