Tout fout l’camp ! Après la drôle de guerre en juin 1940, c’est la débâcle et la défaite de l’armée française. Vient le temps de l’occupation et de la collaboration.
Le rêve de paradis est de courte durée, les nuages sombres du fascisme et du nazisme couvrent l’Europe qui résonne du bruit des bottes et des cris des canons.
Mais des femmes et des hommes refusent d’abdiquer et reprennent le combat dans la clandestinité. Ils sont les combattants de l’ombre. Aujourd’hui, nous les nommons résistants mais ils étaient qualifiés de terroristes par les nazis et le gouvernement de Pétain. 29660 d’entre eux furent exécutés comme otages comme Guy Mocquet, Gabriel Péri, Honoré d’Estienne d’Orves, Missak Manouchian et tant d’autres encore dont les noms inconnus résonnent en mémoire au coin de nos rues.
Voici la parole de l’un d’eux qui a survécu. Je l’ai rencontré, il y a quelques années en Bretagne où je semais des graines de mémoire dans le cadre d’un projet sur un village de vacances. C’était un vieux monsieur toujours occupé à bricoler quelque chose devant sa caravane. Ce jour là, je lui ai demandé d’où il venait. Il m’a répondu avec son accent :
– Frayssinet le Géla.
Je lui ai demandé de répéter et encore une fois il m’a dit :
– Frayssinet le Géla dans le Lot.
Et je n’ai rien compris à part le Lot. Quel village dans le Lot ?
– Frayssinet le Géla.
– Frayssinet le Géla.
– Vous ne connaissez pas Frayssinet le Géla ?
– Non.
– Quoi, Vous ne connaissez pas Frayssinet le Géla !
Et là, le vieux monsieur s’est mis dans une colère terrible et il s’est mis à raconter ce qu’il s’était passé dans son village. Je lui ai demandé si on pouvait se voir pour en parler…
J’ai revu plusieurs fois Fernand, c’est son prénom et il m’a raconté Frayssinet le Géla dans le Lot.
Fernand Le Croquant
Mon père quand j’étais petit nous lisait Jacquou le croquant le soir à la lampe à pétrole..
Nous on pleurait en écoutant mon père quand on voyait Jacquou rentrer après la messe de minuit et passer devant les cuisines du château du seigneur où on faisait rôtir des cochons entiers alors que eux n’avaient rien à manger et qu’il fallait tout donner au seigneur.
Nous on pleurait en l’écoutant nous raconter cette histoire. On se sentait tous comme Jacquou le croquant. On était pauvre, mes parents étaient cultivateurs de tabac dans le Lot. On travaillait beaucoup et on n’avait rien. Il fallait tout donner au propriétaire.
Dans la région on avait gardé l’esprit de Jacquou le Croquant, on était tous un peu révolutionnaires.
En 1936, j’avais dix ans et j’ai écouté le front populaire et la montée du fascisme à la radio chez des voisins parce que nous on n’avait pas encore l’électricité. C’était des voisins juifs, des peintres venus de Paris qui s’étaient installés dans notre village du Lot. Ils achetaient des produits de la ferme à ma mère ; des œufs, du lait, tout ça. Ils avaient un poste à galène. On allait chez eux et on écoutait le front populaire.
Puis après on a entendu :
-Radio Paris ment ! Radio Paris ment ! Radio Paris est Allemand !
Je vais vous raconter comment je suis rentré dans le maquis.
Mon père ne voulait pas.
Mon père était de la classe 10. juste à la fin de son service militaire, il avait été rappelé pour faire la guerre de quatorze dix huit. Il a fait la bataille de la Marne où un général avait dit :
-Il vaut mieux se faire tuer sur place que de reculer.
Ça a été un véritable charnier, les deux frères de mon père y sont morts, mon père a été blessé.
En rentrant mon père avait cassé tous ses fusils de chasse. Il supportait plus les armes à feu. Il n’allait plus à la chasse alors que c’était un pays de chasseur.
Quand il a entendu l’ordre de mobilisation en 39, je m’en rappellerai toujours, il s’est adossé à la porte de la grange, il a pleuré, il a dit :
-Ça a servi à rien qu’on se soit fait massacrer en 14-18, aujourd’hui, il recommence.
C’est pour ça qu’il voulait pas que je prenne les armes dans le maquis.
Mon frère y était déjà. Il s’était sauvé dans le maquis pour échapper au STO en Allemagne.
C’était en 1944 et la division Das reich en remontant vers le nord a traversé notre région en semant la mort.
Ils sont passés par la vallée du Lot pour rejoindre la nationale 20.
Avant ça, en février, ils avaient fusillé vingt deux communistes à Boissières. Vingt deux communistes d’un coup ! C’est bien que quelqu’un leur donnait les noms. Ils les ont fusillés sur une route au bord d’un ravin. Les corps sont tombés dans le ravin mais sur le tas, il y en a un qui n’était pas mort, un miraculé qui a raconté comment ça s’était passé.
Puis ils sont passés par un village tout près du nôtre, Frayssinet le Gelat dans le canton de Cazals.
Ils étaient menés par un Français qui d’ailleurs a été exécuté à la fin de la guerre. Ils sont passés par une première maison où vivaient trois femmes. C’était la maison d’un Parisien qui avait une petite usine à Paris, c’est lui qui avait inventé le système pour ouvrir les boîtes à cirage et les colliers de serrage des durites.
Lui n’était pas là, dans la maison, il y avait sa femme de cinquante quatre ans, sa mère de soixante dix huit ans et la sœur de sa mère de quatre vingt deux ans.
En arrivant dans le village, un Allemand a été tué. En représailles, les Allemands ont mis le feu à la maison et ils ont pendu les trois femmes.
La maison n’a jamais été reconstruite, aujourd’hui encore, on peut voir ses ruines.
Puis la colonne nazie est arrivée sur la place dans le village de Frayssinet le Gela.
Il y avait des jeunes qui jouaient au basket sur la place. Les nazis les ont pris avec d’autres jeunes hommes, les plus grands, les plus costauds du village. Et ils les ont alignés sur le mur de l’église pour les fusiller.
Là, le père Mourguès qui tenait un restaurant sur la place quand il a vu que le peloton se préparait à exécuter son fils est venu en criant :
-Prenez-moi mais laissez mon fils !
Les Allemands l’ont pris et l’ont fusillé avec son fils et tous les autres hommes devant tout le monde. Il y a eu onze fusillés à Frayssinet.
Après ils ont enfermé tous les hommes dans l’église et ils les ont laissés là toute la nuit.
Après ils ont obligé la femme qui tenait le restaurant et dont ils avaient assassiné le fils et le mari de leur préparer à manger. Ils ont fait la bringue toute la nuit. On les entendait rire et chanter.
Dans la nuit, le père Laffont a cassé un vitrail de l’église pour s’échapper, il est parti par la route mais les Allemands avaient posté des mitrailleuses et ils l’ont mitraillé.
Le lendemain, ils ont obligé, les hommes du village à creuser une fosse au cimetière pour mettre les douze corps comme ça dans la terre sans cercueil. C’est qu’après la guerre qu’ils ont déterré les corps pour leur donner des sépultures.
Après ils sont descendus par la vallée. Il y avait un paysan qui labourait son champ avec ses vaches, ils l’ont tué aussi avec ses vaches comme ça, en passant. Ils l’ont tué en passant…
Ensuite ils se sont arrêtés à Tulle et là ils ont pendu cent vingt hommes dans les rues de la ville. On raconte qu’ils ont obligé les hommes à se pendre les uns les autres. Ils les accrochaient aux poteaux dans les rues de la ville. On les voyait en rentrant dans la ville là pendus dans les rues. D’ailleurs à Tulle, une de ces rues est devenue la rue des Martyrs.
La colonne est arrivée le 10 juin 44 à Oradour sur Glane et ça a été le massacre de toute la population du village.
Six cent quarante deux personnes ont été assassinées, des hommes, des femmes, ils ont tué deux cent quarante deux enfants et même les vieillards.
A Oradour sur Glane, il y a eu quatre miraculés aussi. Il faut croire qu’il y a toujours des gens qui survivent pour pouvoir raconter ce qu’il s’est passé, pour pouvoir témoigner.
Aujourd’hui, le village d’Oradour est resté en ruines.
Il faut aller là-bas pour voir. Quand t’es là-bas, pas besoin de parler, suffit de regarder et les larmes te montent aux yeux.
Même des Allemands viennent à Oradour. J’ai vu des Allemands pleurer là-bas.
Après ces horreurs mon père m’a dit que je pouvais partir dans le maquis.
J’avais dix huit ans, j’étais encore un gamin.
Là, dans la forêt, on nous a appris le maniement des armes, comment se servir d’une grenade, d’une mitraillette. On nous a appris à faire la guerre. Mais c’était l’armée de l’an deux, on était habillé n’importe comment et il n’y avait pas trop de discipline.
C’est mon père qui nous a amené les armes qui avaient été parachutées. Je m’en souviens, il avait monté les armes dans le maquis avec sa charrette tiré par son cheval.
Pendant deux ans j’ai fait la guerre.
Celui qui dit qu’il n’a jamais eu peur à la guerre est un menteur.
A la fin, j’ai été incorporé dans l’armée régulière et on nous a donné des uniformes de l’armée américaine.
En 1945, quand j’ai été démobilisé, mon commandant voulait nous emmener en Indochine. J’avais dix neuf ans, je faisais pas encore de politique et le commandant, à la guerre, c’était comme mon père, je l’aurais suivi n’importe où.
Mais la majorité, à l’époque, c’était vingt et un ans alors ils nous ont donnés six jours de permission exceptionnelle pour faire signer les papiers d’autorisation à nos parents pour partir en Indochine.
Je me suis retrouvé à la maison. Il y avait Léon, mon chef de maquis, c’était un juif, il m’a dit :
-Tu sais ce que tu vas faire là-bas en Indochine ?
-Non.
-Tu vas aller te battre contre des gens qui veulent être libres et qui font comme nous on a fait contre les Allemands.
Alors je suis pas parti en Indochine.
Je suis parti chercher du travail. J’en ai trouvé par un copain dans la Haute Vienne.
C’était l’hiver, il faisait froid, j’avais plus rien, pour travailler je portais mes habits militaires. J’avais les pantalons, les chemises et une pelisse de l’armée américaine.
En janvier 1945, les gendarmes sont venus me trouver chez mon patron pour que je rende mes affaires militaires. Je pouvais garder mon pantalon et la chemise mais je devais rendre le reste. J’en ai pleuré. J’avais fait deux ans de guerre, on était en plein hiver, on ne m’avait rien donné. J’en ai pleuré. Je pensais que j’avais bien mérité de garder mes affaires.
Depuis j’ai toujours gardé l’esprit révolutionnaire, à pas me laisser faire.
Aujourd’hui, j’ai plus de quatre vingt ans et c’est ce que j’ai dit il y a deux ans quand il a fait si chaud :
-Le capitalisme ne m’a pas eu ! Les patrons ne m’ont pas eu !
La canicule non plus !