Mimouna C’est mon histoire

Il faut absolument que tu rencontres Mimouna, elle a connu plein de choses sur le quartier, elle a plein de choses à raconter…

C’est ce que m’a dit Sedik. Alors, j’ai appelé Minmouna.

Elle est là, face à moi, sa tasse de café à la main. Maquillée, parfaitement coiffée, les ongles peints à la perfection, un léger parfum flotte dans la pièce. C’est une reine. Sa voix est douce et chaude, caressante, elle semble provenir d’un temps lointain, on y entend les souffrances, les joies, toute une âme…

 

J’ai huit enfants dont… J’ai eu huit enfants ; six garçons et deux filles, tous ne sont pas nés à Argenteuil. Mon histoire est l’histoire de beaucoup de femmes.

On est arrivé d’Algérie en 1950. On a habité Colombes puis Gennevilliers.

On est arrivé à Argenteuil en 1954. On habitait la rue Gounod, dans le quartier des Champiots, là où est une partie du Val Nord aujourd’hui

La rue Gounod, c’était une rue particulière, une rue cosmopolite, il y avait beaucoup de gens du Maghreb ; beaucoup de Marocains, d’Algériens, un peu de Tunisiens, des Français, quelques Polonais, des familles qui vivaient comme elles pouvaient là, des ouvriers venus ici pour travailler en France. Il y avait dans cette rue beaucoup de ceux qu’on appelait les marchands de sommeil.

Ce quartier n’existe plus et notre maison, aujourd’hui, c’est un rond point.

Quand je suis arrivée à Argenteuil, j’avais onze ans et demi et je suis allée à l’école Ambroise Thomas.

J’ai été mariée à 14 ans. On m’a mariée à 14 ans à Argenteuil.

A 14 ans, on n’a pas le droit de passer à la mairie, ce n’est pas légal mais ça se passait entre famille et c’était la parole donnée. Un imam venait et il donnait sa bénédiction et voilà, tu te retrouves mariée. On m’a mariée à 15 jours du passage du certificat d’études et je n’ai pas pu le passer et j’ai dû arrêter l’école. Je n’ai fais que l’école primaire. J’ai eu une enfance difficile dans une période compliquée en Algérie mais ça, c’est une autre histoire et je n’ai pas eu d’adolescence. Je n’ai pas de souvenirs d’enfance, c’est comme si j’étais née adolescente pour me retrouver maman.

C’est mon histoire.

J’ai continué à habiter chez mes parents, dans leur maison, rue Gounod, avec mon mari. On n’avait qu’une seule pièce et on vivait là. A 14 ans, j’ai eu mon premier enfant et à mes 15 ans, un deuxième enfant est né.

Un jour, mon mari est rentré et il m’a dit :

–  J’ai acheté une maison. On déménage aujourd’hui.

En fin d’après-midi, je vais dans la maison achetée. Je me souviens, j’avais 16 ans et j’arrive là-bas, dans le bidonville. Je vois ces baraques en bois avec du papier goudronné, la boue. J’ai dit :

–       Non c’est pas possible, j’habite pas là.

Il me dit :

–       Parce que toi tu te considères au dessus des femmes qui habitent là ?

–       Non, c’est pas ça mais moi, je reste pas là.

Il m’a dit :

–       C’est pas compliqué. Tu laisses mes enfants et tu t’en vas.

J’avais un fil à la patte. Je ne pouvais pas m’en aller sinon, c’est comme si j’avais été répudiée. Chez nous, c’est comme ça, c’est l’homme qui a le pouvoir, c’est lui qui décide. Sur ce, je suis restée là. Je crois que toute mon histoire a eu un fil à la patte.

De la rue Gounod, je suis allée habitée dans ce bidonville qui était là où il y a le parc des Cerisiers aujourd’hui. C’était à la frontière d’Argenteuil et de Cormeilles.

 

J’ai vécu là, trois ans et demi de ma vie. Ça a été très difficile de vivre là. C’était des baraques avec des toits en tôle et des pneus sur les toits pour qu’ils ne s’envolent pas. On n’avait pas d’eau, pas d’électricité. Mon père était un ouvrier mais jamais on avait habité dans un endroit sans eau et sans électricité.

On a aménagé notre cabane. Elle était belle notre cabane mais ça restait sans eau, sans électricité mais ça restait tout petit. On avait une petite cour en terre. On avait des cuisinières et des poêles à charbon pour se chauffer. On avait des bouteilles de gaz. On allait à la fontaine des Rosières qui est juste un peu au dessus pour aller chercher notre eau. On n’avait pas les douches, pour se laver, c’était le grand baquet en zinc. Pour la lessive, c’était à la main avec la planche et la brosse. On n’avait pas de sanitaires, pas de toilettes. On vivait comme des gens cinquante ans en arrière. On avait l’impression de se sentir comme des gens qui n’ont pas d’importance et qu’on laisse s’installer comme ça, par respect, je ne vais pas dire comme des animaux parce qu’on est des être humains. On se sentait amoindri par ce manque de considération envers nous. On ne sentait pas comme un être à part entière.

 

Il y avait la crainte pour nos enfants. Combien de temps on va rester là ? Comment ils allaient grandir ? Comment on allait évoluer ? Autant, on n’avait aucun souci pour le travail car en ce temps là, un homme quittait une place le matin, il en avait une autre l’après midi, mais est-ce que nos enfants allaient grandir dans ces baraques, dans cette gadoue. On avait beau vouloir être propre, on n’arrivait jamais à être totalement propre. L’enfant sortait cinq minutes pour revenir sali.

Mais j’arrive pas à en parler avec de la rancune ou de la rancœur parce que c’est une période où j’ai appris, j’ai beaucoup appris. J’en parle avec le recul. J’en parle pas avec regret. Le seul regret que j’ai de ce lieu, c’est le voisinage, les gens. On était solidaires. On était dans le partage. Dans la journée, on n’était qu’entre femmes, on apprenait des unes des autres ; les traditions des unes, les plats, les problèmes. Bien souvent, on était à partager un café ou un thé. Et on pouvait se parler de nos histoires de femmes, toutes les histoires de femmes qu’on pouvait avoir. Il y a des femmes qui étaient bien dans leur intérieur et il y a des femmes qui étaient plus mal dans leurs ménages. Il y avait des femmes battues, il y avait des femmes qui pleurent, des femmes qui se retrouvaient à arriver d’Algérie pour rejoindre leur mari, là-bas, elles étaient bien, elles vivaient bien et elles se retrouvaient là dans un bidonville en France. Pour les gens qui venaient d’Algérie, c’était inimaginable. Là-bas, la France, c’était le paradis, le progrès et tu te retrouvais là. Il y avait l’éloignement, la famille qui n’est pas là, l’exil. Les femmes parlaient de tout ça.

C’était une parole qui fait du bien, on pouvait se soulager, se soutenir.

 

Nos sorties en ville se limitaient à la PMI rue de Paradis. Un samedi sur deux, on allait à Croix Rouge. C’était nos sorties. On avait vraiment une vie très limitée.

Mais je veux garder ce souvenir d’amitié, de solidarité et d’entraide.

 

On est resté trois ans et demi dans le bidonville. On venait dans cette partie où est Val d’Argent et c’était des champs et des vergers. Il y avait des cerisiers, des pommiers, des poiriers. Il y avait des légumes cultivés par les maraîchers.

Jamais j’aurai pensé habiter un bidonville. Un bidonville, c’est même pas une ville bidon, c’est ta vie qui est bidon, c’est tout. On n’avait pas de vies mais c’est pas vrai non plus. C’est pas le rêve, de n’importe quelle femme, de vivre dans un bidonville loin de tout, dans les champs à aller chercher l’eau. J’avais la chance que mon mari allait souvent chercher l’eau et je n’avais pas à la porter. Mais je me souviens aller à la fontaine des Rosières pour accompagner les femmes pour puiser de l’eau. Sur le chemin, on regardait ces quelques maisons qui étaient le long de la route. On rêvait devant ces maisons.

 

Regarde là, ma ville.  Elle s’appelle Bidon,  Bidon, Bidon, Bidonville.

Vivre là-dedans, c’est coton.  Dans les chambres, l’herbe pousse.

Pour y dormir, faut se pousser. 

Les gosses jouent, mais le ballon,  C’est une boîte de sardines, Bidon.

Claude Nougaro

 

 

Tous les hommes travaillaient. Il y avait besoin de beaucoup de mains d’œuvre. C’est pour ça qu’on nous a fait venir au départ. Mon père a travaillé pendant des années comme OS chez Citroën. La France s’est bâtie dans ces années là avec tout ce travail. Pourquoi on a fait venir tant d’Algériens, de Marocains ? C’était pour les fonderies, pour les mines, pour les usines, pour tous les travaux, pour construire les routes, les immeubles. Tout ça a été fait au lendemain de la guerre de 39-45. On était Français à l’époque. L’Algérie était une colonie de la France.

On vivait difficilement aussi parce que c’était pendant la guerre d’Algérie. On n’était pas directement en guerre mais on sentait la guerre avec le FLN, avec le MNA. Avec la police ou les CRS, on a toujours été respecté mais il y avait toujours la crainte. Avec la guerre d’Algérie, on se demandait ce qu’on allait devenir. Est-ce qu’on allait nous renvoyer chez nous ?

 

C’est peut être pour ça que pendant longtemps, en France, on ne s’est pas occupé des familles Maghrébines.

 

Avec le recul, aujourd’hui, je me dis qu’on ne s’est pas occupé de nous parce qu’on ne savait pas la fin de l’histoire.

La guerre d’Algérie s’est terminée et peu d’Algériens sont retournés là-bas et beaucoup de réfugiés sont revenus ici. Il y avait un terrible problème de logements et ce n’était pas que pour les Algériens, il y avait beaucoup de familles de Français qui étaient très mal logées aussi.

Ce qui est différent d’aujourd’hui, c’est que nous étions tous logés à la même enseigne. On n’habitait pas là parce qu’on n’avait pas les moyens, on habitait là parce qu’il n’y avait aucune considération pour es familles qui arrivaient d’Afrique du Nord. Rien n’était prévu pour nous loger. On nous laissait construire des cabanes. Les hommes, les maris travaillaient en usine, les femmes étaient là, il y avait des enfants qui naissaient, les familles vivaient là. J’ai vécu là. J’ai eu un troisième enfant. Puis on est parti.

 

Je me suis aperçue que j’ai squeezé une partie de ma vie parce que quand on me demande le bidonville et les HLM, je dis qu’on est parti du bidonville pour aller au HLM mais ce n’est pas vrai, des souvenirs me reviennent, entre les bidonvilles et le HLM, je suis retournée un peu à la rue Gounod puis à Sartrouville dans des logements qui  ne sont pas pour des être humains qui se respectent. On est parti au bout de trois ans et demi du bidonville toujours dans l’espoir d’un mieux vivre mais à Sartrouville, on s’est retrouvé dans un garage transformé en logement par son propriétaire. Là, j’ai eu un autre enfant, mon quatrième.

 

Nordine, un de mes enfants a attrapé la polio et pendant  deux années, il a été soigné à l’hôpital de Garges puis ils l’ont transféré dans un hôpital spécialisé à Berck dans le Nord. On ne pouvait plus aller voir notre enfant si on restait là. Alors, on a déménagé. On est parti à Outreau vers Boulogne Sur Mer où étaient déjà partis mes parents. J’ai eu deux autres enfants nés à Boulogne.

On est resté deux ans et demi jusqu’à ce que Nordine sorte de l’hôpital. On est reparti en région parisienne, retour à la rue Gounod. On avait deux pièces pour vivre à six enfants et nous deux. On était huit dans deux pièces.

Sur le Val, on voyait des immeubles se construire peu à peu mais on se disait qu’on n’aurait jamais un logement là dedans. C’était pas pour nous. On ne voulait pas trop espérer pour ne pas être déçu. Puis on croyait plus les fausses promesses. Parce que quand on avait notre premier enfant, on avait déjà fait une demande en mairie mais à l’époque, on nous a dit qu’ils logeaient d’abord les familles nombreuses. Maintenant, qu’on avait 6 enfants, on n’avait toujours rien.

A force d’aller à la mairie pour demander, on a eu l’appartement. C’était en mai 1969. On est arrivé enfin en HLM.

 

Quand on a reçu l’avis qu’on nous attribuait un appartement au 13 rue de l’Ecureuil à la Berionne, on a été chercher les clés. On avait tellement peur qu’ils changent d’avis, c’était le 14 ou le 15 mai, ce jour là, on a pris les enfants en pyjama et on les a emmenés directement là-bas de peur qu’ils changent d’avis et qu’ils donnent l’appartement à quelqu’un d’autre. On est arrivé dans une camionnette avec quelques affaires et les enfants à moitié habillés. On était là-bas à l’aube. J’avais un de mes enfants, Morad, qui est décédé aujourd’hui, qui allait d’un bout de l’appartement jusqu’à un autre bout. Et il courrait comme ça d’un bout à l’autre de l’appartement sans arrêt tellement, il y avait d’espace. Il a fait ça toute la journée. Il y avait une grande salle de bains, deux cabinets de toilette, une salle à manger immense, une très grande chambre et trois autres de l’autre coté. La cuisine. La cuisine ! Moi qui avait toujours eu une minuscule cuisine, là, il y avait de la place. C’était un vrai changement de vie pour nous.

On est arrivé tous en même temps dans l’immeuble. La dalle était encore en construction. Le parc n’existait pas, c’était de la gadoue. Il n’y avait pas encore d’écoles de ce coté là. Les enfants devaient traverser de l’autre coté pour aller à l’école Paul Eluard qui était en préfabriqué. Ensuite tout s’est construit, il y a eu l’école Henri Wallon, le parc a été fait et la dalle s’est construite avec tous ses commerces. J’ai vu complètement naître le quartier. C’était une grande aventure.

Mais une fois qu’on a eu l’appartement, j’ai eu peur. Peur de cet espace, comment le remplir ? Dans le bidonville, on avait des lits cages, des toutes petites choses et là, il y avait tellement de place. Comment remplir cet appartement ? Mon mari avait toujours travaillé et on avait l’argent des allocations familiales mais on n’avait pas d’argent de coté. Alors, j’ai pris des tissus de robes arabes que j’avais pour faire des rideaux aux fenêtres. J’ai cousu des morceaux de tissu pour recouvrir de la mousse et faire une banquette dans la salle à manger. C’était un vrai problème pour moi de passer à deux pièces à ce truc géant. J’ai paniqué pendant un moment mais après, on s’y est fait très bien. On a meublé. On a fleuri. On a eu un intérieur qui petit à petit est devenu très agréable. C’était immense comme joie pour nous.

Le quartier a évolué et la dalle était très belle. La dalle était vivante ; il y avait des bons commerces, diversifiés, de belles boutiques ave des gens sympathiques. On avait plaisir à aller sur la dalle. C’était un endroit vivant où les gens allaient, se rencontraient, où les gens partageaient beaucoup de choses. A la Berionne, il y avait l’Union des femmes Françaises et on se rencontrait une fois par mois pour discuter d’un tas de choses. Il y avait l’Amicale des locataires. On était impliqué dans le quartier. Comme on est arrivé tous en même temps avec nos enfants, on amenait les enfants à l’école et cela a créé des liens entre nous. On a évolué, chacune à sa manière, mais on partageait beaucoup. Il y a eu les réunions Tupperware, les réunions Avon. Ça se faisait les unes chez les autres.

Il y avait vraiment une vie entre nous. C’était une vie entre femmes et avec les enfants parce que les hommes travaillaient. La journée, ils étaient à l’extérieur, heureusement pour nous. Ça, c’est un regret, cette vie, je ne l’ai pas retrouvé ailleurs.

 

Mais, tout a changé, après. Le quartier s’est dégradé, abîmé. Aujourd’hui, c’est devenu plus individualiste, plus personnel. Il y a toujours des gens qui font des choses mais ce n’est plus resté un milieu ouvert comme c’était. Beaucoup de choses simples essentielles à la vie commune ont disparu.

 

 

En 1978, j’ai perdu mon mari. Il s’était fait opéré de la vésicule biliaire et il a du y avoir une erreur. Il est rentré à l’hôpital pour une opération et il est mort huit jours plus tard. On ne sait pas pourquoi.

J’avais 34 ans et je suis restée seule avec mes huit enfants. J’avais deux solutions, où me remarier où l’assistanat, courir demander des aides. J’y suis allée une fois. On m’a dit d’aller au consulat. Ils m’ont donné trente francs et ils m’ont dit d’aller voir l’aide sociale. Je suis tombée sur une femme mauvaise. Elle me dit :

–       Votre fils, au lieu d’aller passer son bac, il ferait mieux d’aller travailler.

Je ne me souviens pas de ce qu’il s’est passé. J’ai senti ma tête partir en arrière et j’ai cogné le sol. Je me suis réveillée dans un bureau et je me suis jurée de ne plus jamais retourner demander de l’aide dans un bureau. Et-ce un bien pour un mal ? Je ne suis pas pour l’assistanat, voir des gens implorer de l’aide sans se donner les moyens, c’est mauvais. J’ai décidé de travailler.

Jusque là, à part la vie sur la dalle où je sortais seule, le reste, c’était toujours avec mon mari. Si je faisais les courses à l’extérieur, c’était avec mon mari. Et je me suis retrouvée avec mes enfants et, je ne savais pas faire mes courses, toute seule. Je ne savais pas le monde extérieur. Je ne connaissais rien en dehors du quartier, le plus loin, c’était peut être la mairie ou la sécurité sociale. Puis, j’avais besoin d’argent pour élever mes enfants. Les seules choses que je savais faire, c’était faire le ménage ou m’occuper d’enfants. J’ai commencé à garder des enfants chez moi pendant trois ans. Entre mes enfants et ceux que je gardais, j’en pouvais plus. Puis, j’étais toujours chez moi et cet appartement me parlait trop. J’en pouvais plus. J’ai arrêté de garder des enfants. J’ai été voir le médecin et il m’a dit qu’il fallait que je sorte, quitte à faire des ménages, il fallait que je change d’air. J’ai fais des heures de ménage au foyer de la Berrione et chez des particuliers. Mais ce n’était pas suffisant. J’ai été m’inscrire à L’ANPE. Je suis tombée sur un monsieur qui m’a demandé ce que je voulais. J’ai dis :

–       Moi, je veux des heures de ménage parce que ce que j’ai ne me suffit pas pour élever mes enfants. Il me faut plus d’heures.

Je lui ai dis :

–       Même si vous me donnez à nettoyer les chiottes de Saint Lazare, j’y vais.

Il me dit :

–       Mais vous n’avez pas d’autre ambition que de nettoyer les toilettes de Saint Lazare ?

–       Non. Je n’ai fais que l’école primaire jusqu’au CM2. Je n’ai rien.

Après, il m’a dit :

–       Mais au fond de vous, vous avez bien quand même quelque chose qui vous ferait envie ?

Je me suis dis, celui là est en tain de se moquer de moi, je vais me dépêcher de partir et je vais me débrouiller toute seule. Je lui ai dis :

–       En vous attendant, j’ai vu qu’il y avait de gens qui attendaient et qui ne savaient pas lire et écrire et qui ne parlent pas bien le français. Et il n’y a pas vraiment un bon accueil pour eux.

Il me répond :

–       A l’ANPE, il faut être Français.

Là, je me suis dis qu’il fallait que je me dépêche de sortir de là. Je suis partie.

Au bout de trois semaines, un mois, il me téléphone pour me dire qu’il y avait une association qui cherchait une formatrice pour s’occuper de jeunes en difficulté. Je lui ai dis :

–       Mais, Monsieur, je n’irai pas. Qu’est ce que je vais leur dire ? Je n’ai aucun diplôme. Ils vont se moquer de moi.

–       Je vous laisse les coordonnées et vous faites ce que vous voulez. Au revoir.

Et il raccroche. J’en parle à mes enfants, aux deux grands :

–       l’ANPE me propose d’aller dans une association où il demande une formatrice. Je ne peux pas y aller. Je vais me présenter devant des Français qui vont se moquer de moi. Qu’est ce que je vais leur dire ?

Ce qui m’arrive après, je raconte tout le temps. Mon fils, le lendemain arrive avec un paquet. J’allais l’ouvrir, mon fils me dit :

–       Attends maman ! Ce qu’il y a dans ce paquet, ce sera à toi de choisir, où tu vas y mettre des gamelles, où tu y mettras des livres.

J’ouvre le paquet, c’était un sac, un très beau sac.

Je dis à mon fils :

–       Mais, je n’ai jamais pris de gamelle dans mon sac.

–       A force de faire des ménages, un jour tu prendras une gamelle. Si Tu te présentes à la place, peut être qu’ils ne te prendront pas mais peut être qu’ils te prendront et tu pourras y mettre des livres.

Après ça, je n’avais pas le droit de me dégonfler. J’ai pris le train pour Cormeilles. Entre Val d’Argenteuil et Cormeilles, il y a une station. J’ai cru que ce train ne s’arrêterait jamais. Et me voilà à Cormeilles. J’ai d’abord fait demi tour. J’avais peur, je ne voyais pas ce que je pouvais dire à ces gens, je me sentais ridicule. Je n’avais jamais fait un entretien d’embauche. Finalement, j’y vais. A L’association s’appelait La Montagne Vivra. Deux femmes me reçoivent ; la directrice et son adjointe. Je leur dis :

–       Voilà, l’ANPE m’a dit de me présenter mais je j’ai jamais travaillé, je suis mère de famille, j’habite la ZUP. Et je raconte un peu mon histoire. Je me présente et je sais que vous ne me prendrez pas. Je n’ai aucune expérience, aucun diplôme.

Ils me disent :

–       C’est vrai qu’on a reçu des personnes et d’autres encore doivent venir et elles ont de l’expérience.

Je ne demandais qu’une chose, qu’ils me disent de m’en aller pour que je puisse dire à mon fils : J’y suis aller mais ils ne m’ont pas pris. Mais ils ne m’ont pas ça, ils m’ont dit que comme tous les candidats, j’avais un entretien avec le groupe de jeunes en difficulté. Je suis revenu et j’ai passé une matinée avec les jeunes. C’était une salle avec quinze jeunes de seize à dix huit ans, en majorité des Maghrébins et peut être quatre ou cinq Français. Ils avaient les pieds sur les tables, les cigarettes qui fumaient. Je ne savais pas quoi faire ni quoi dire. Au bout d’un moment, je leur dis :

–       Vous ne voulez pas vous présenter ? Moi, je viens pour un poste de formatrice.

–       Ah ! C’est toi qui viens nous parler de la famille.

–       Oui. De toute façon, je vais me présenter et je m’en vais. Je m’appelle Mimouna G, j’habite la ZUP d’Argenteuil et j’ai huit enfants.

–       Heu ! L’autre, elle a huit enfants !

C’est ce qui a déclenché la discussion.

–       Est-ce que tu as des filles ? Est-ce qu’elles sortent ou qu’elles sortent pas ?

A la fin, les jeunes me demandent de repasser le voir pour une journée porte ouverte à l’association. Quand ils m’ont dit ça, j’ai rigolé, je leur ai dis :

– Qu’est-ce que ça veut dire Journée porte ouverte, chez nous, la porte est toujours ouverte.

 

Après ça, j’ai eu un rendez-vous avec la présidente qui était à Pontoise et qui était avocate. Donc, je vais à Pontoise. Je rencontre la présidente qui d’entrée me dit :

–       Je préfère vous le dire, on recherche un homme parce que c’est un groupe qui est très dur et qu’il faut une poigne d’homme.

Je lui dis :

–       Je savais très bien que vous ne pouviez pas me prendre mais ça m’étonne de vous, de me dire qu’il faut une poigne d’homme pour des jeunes ou des enfants en difficulté. J’ai huit enfants et je n’ai pas besoin de hurler pour le faire entendre. Ça me surprend de vous. Vous êtes avocate et il y a à peine cinquante ans, des femmes se battaient pour porter la robe et pouvoir défendre et entrer dans un palais de justice. Je sais que vous ne me garderez pas mais j’ai fait le chemin pour dire, voilà, j’ai été jusqu’au bout. On se quitte comme ça.

Comme je l’avais promis aux gosses, je vais à la journée porte ouverte à Cormeilles. Les jeunes me voient et me font visiter tout ce qu’ils avaient fait. Je m’apprêtais à partir quand la directrice me dit :

–       On a quelque chose à te dire.

–       Oui, je sais.

–       Tu sais ?

–       Oui. Vous m’aviez prévenu qu’il y avait d’autres personnes avec expérience et moi, je n’ai pas d’expérience. Je suis venue parce que j’ai promis aux jeunes de venir.

–       C’est toi qu’on a gardé.

C’était un moment fort. C’était la première fois qu’on me reconnaissait quelque chose. Une confiance m’a été donnée. J’étais contente et avec beaucoup de peurs. Mais, tout de suite, j’ai été dans le bain et, tout de suite, j’ai été à l’aise avec ces jeunes. Et j’ai travaillé pendant vingt ans. Au début, j’ai été formatrice avec des jeunes. Après, j’ai voulu travailler avec des femmes dans des cours d’alpha dans une autre association. J’ai toujours travaillé dans le milieu associatif sur Cergy, sur Pontoise, sur Argenteuil. Mon évolution, je ne l’ai jamais demandée, c’est toujours la hiérarchie qui me proposait un poste au dessus de celui que j’avais. Ce qui était important, c’était le travail que je pouvais rendre au sein de cette association et le ce que je pouvais apporter aux gens. Ce qui était primordial, c’était ça. Le monde associatif, c’est un milieu particulier.  Quand on fait une chose et qu’on aime, on est impliquée, on donne et on reçoit, le plaisir est aussi pour nous. Mon travail ça a été un rêve.

Et le sac que m’avait offert mon fils, je l’ai toujours et j’y ai mis des livres.

Avant que je ne travaille, je ne parlais pas, je ne sortais pas.

Mon histoire, c’est l’histoire de plein de femmes.

Une femme écrivain, Leïla Seibar est venue plusieurs fois à la bibliothèque. Une fois, elle avait présenté un de ses livres. Il y avait eu un verre à boire après et je suis allée la voir car j’avais lu deux de ces livres. Elle me demande ce que je fais et  je lui raconte que j’ai perdu mon mari et que je suis restée seule avec huit enfants et que j’ai du aller travailler et voilà comment je suis devenue formatrice. Elle me dit :

–       Alors, c’est bien qu’il est mort.

–       Tu ne peux pas dire ça.

–       Ne le prends pas au premier degré. S’il était vivant, tu ne te serais pas découverte.

C’est vrai, mais c’est un grand prix, c’est payer cher le prix de la vie.

 

Le prix de la vie

 

Nos enfants, c’était notre priorité. Chaque parent va dire qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu pour leurs enfants. Mais vraiment, on a fait tout ce qui est en notre pouvoir pour eux, pour que chaque enfant ait ce dont il a besoin. Je me disais qu’on n’y arriverait pas. Un enfant a besoin quand on a un intérieur qu’il soit agréable, qu’il soi bien tenu. On ne voulait pas que nos enfants ressentent de privations. C’est une grande responsabilité que l’on a, d’être parent.

Je n’ai été qu’à l’école primaire jusqu’en CM2. A l’époque, on avait encore les cours ménagers où apprenait aux petites filles comment repasser, faire la cuisine, faire la vaisselle et le ménage.

Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris avec mes enfants quand ils ont été à l’école puis au collège. Je voulais tellement qu’ils réussissent que je lisais leurs leçons pour les aider à faire leurs devoirs. Je lisais avec eux. J’aimais lire. C’est ce qui m’a tenu et c’est comme ça que j’ai appris et que j’ai pu avoir un petit savoir, tout petit.

Mes enfants, je les ai portés et ils m’ont porté. C’est tout ce que j’ai. C’est tout ce que j’ai eu jusqu’à aujourd’hui. Mes enfants, c’est ma couronne. C’est ma force. Si j’ai fait les choses, c’est grâce à eux et pour eux. J’ai toujours vécu à travers mes enfants. J’ai eu le malheur d’en perdre deux.

Le premier, Mohamed en 98, il avait 24 ans. Mohamed aimait peindre, il jouait aux échecs. Il était plein d’envie. Il était sportif et souvent, il allait jouer au foot avec les jeunes de Montigny Un jour, il est allé jouer et il est tombé. Rupture d’anévrisme qu’ils disent…

Et six mois plus tard, en 99, Mourad, il avait 26 ans. Il est mort d’une overdose. Ça n’a pas de nom. Ça n’a pas de nom…

Quand ça a changé dans le quartier, dans les années 90, la drogue est arrivée. Et Mourad a touché à la drogue. Malheureusement, il en est mort. Et tout ce qu’on peut vivre avec un enfant qui se drogue. Même si c’est un homme, c’est un enfant et tout ce qu’on peut vivre avec lui, avec ce qu’il traverse, ce qu’on traverse avec lui, c’est très dur. On est tous entraîné dans sa galère, tous entraîné dans son mal être de la drogue. Il était prêt à tout pour en avoir. J’en veux à ceux qui font ça.

Depuis j’essaye de maintenir la tête hors de l’eau mais c’est difficile. Après tu as toujours la peur qu’il arrive quelque chose. J’ai toujours peur.

Ces deux enfants qui ne sont plus là ; ils sont là sans être là mais ils ne sont pas là. C’est le drame de ma vie. La vie est tout autre depuis leur décès. C’est très difficile. Heureusement, j’ai mes enfants, j’ai mes petits enfants et mes arrières petits enfants. J’ai 22 petits enfants, onze arrières petits enfants. Je suis une maman comblée.

 

 

Ce projet sur la parole, c’est bien et c’est mieux que bien, c’est la transmission. C’est ce qu’on peut raconter et ce qu’on peut entendre. C’est ce qui est nécessaire pour que continue de vivre les lieux, les gens. La parole, c’est ce qui sert pour transmettre et sans transmission, on se meurt. Si les personnes du quartier ne veulent pas parler de ce quartier, il ne restera rien de ce quartier. Il y aura les immeubles mais l’histoire ne sera pas là.

Récit écrit à partir de paroles collectées.

Ludovic Souliman, décembre 2013