Welcome Homme Paillasson

Welcome Homme Paillasson

Dimanche 6 décembre, il pleut. Casquette sur la tête, on va les voir, les soutenir, leur donner un peu d’espoir.

Sur le paillasson d’en face, comme dans le film, il y a écrit WELCOME. Bienvenue Homme. Là-bas, l’an dernier, sur la terre rouge du Burkina, on m’a souhaité bonne arrivée. WELCOME Homme.

Dehors, ils sont là, sur le trottoir, sous la pluie, tentes montées sur le bitume devant le centre des impôts. Le bâtiment tout neuf a un auvent sur le devant, l’architecte n’avait pas prévu sur ses papiers qu’il servirait d’abri aux sans papiers.

J’arrive, rectangle rouge de moquette, quatre hommes, chaussettes aux pieds, font leur prière.

Prière ?  Vous êtes prié de quitter le territoire Français dans les plus brefs délais. C’est écrit sur le papier blanc.

Six semaines qu’ils sont là, sur le trottoir. En grève. En lettres noires écrites à la main sur un drap blanc. Régularisation des  sans papiers.

Sanou, Tidiane, Dousso, Joseph, Lassana, Malamina, Safia, Modibo, Adje, Salimata, et d’autres, tous noirs de peau devant le centre des impôts.

Sanou a fui la Sierra Léone. Il a marché, marché à travers terre et frontières d’Afrique sans argent. Arrivé au Maroc, il a traversé le détroit de Gibraltar sur une barque. Il est là depuis cinq ans. Depuis cinq ans, il travaille sur les chantiers. Son père et sa mère sont morts dans cette guerre civile qu’il a fuie. Ici, il n’est plus rien. Il me montre une feuille blanche, officiel, l’invitant à quitter le territoire français dans les plus brefs délais.

Lassana, depuis dix ans, de ses mains épaisses et calleuses il a construit des bâtiments, des trottoirs, il a construit des écoles, il a construit des hôpitaux. Il a même planté des arbres dans la terre de France.          Au Mali, il était berger, il vivait dehors avec les bêtes, il n’avait rien. Il rêvait d’une autre vie. Il raconte la peur quand dehors, il croise des uniformes. Il se sent comme un voleur, un hors la loi, lui qui n’a jamais rien volé. Il espère une autre vie. Sa femme est au Mali avec son enfant. Tous les mois, il lui envoie un peu d’argent. Depuis dix ans, il n’a pas plus vu sa femme ni son fils. Il espère les papiers pour pouvoir les revoir.

Safia fait des ménages depuis dix ans. Elle aussi a une histoire compliquée. Elle n’a jamais arrêté de travailler depuis dix ans. L’argent qu’elle gagne c’est pour ses quatre enfants restés au Mali. Elle aimerait les revoir.

Dousso a fui, un homme violent. Elle a quitté son pays, laissé ses deux enfants à sa vieille mère malade. L’espoir, la France. Elle travaille avec Safia dans un bel hôtel à Paris. Quarante heures par semaine pour six cent euros par mois. C’est payé au noir. C’est comme ça. Elle rêve d’avoir des papiers pour revoir ses enfants, les faire venir auprès d’elle, voir sa pauvre mère. Les mots pleurent sur ses joues.

Elles parlent et Tidiane les écoute. Il dit :

–       Je les entends et je pense à nos mères. Ma mère, paix à son âme est partie. Mais j’entends ces femmes et je pense à nos mères et les larmes viennent à mes yeux. Pourquoi n’avons-nous pas le droit d’être là ? Nous travaillons dur. Nous payons des impôts. Nous avons quitté nos pays. Nous sommes loin de chez nous. Pourquoi nous faire souffrir encore plus ?

Welcome Homme Welcome

Malamina travaille depuis dix ans. Il raconte son grand père qui a fait la guerre de 39 45. Il a fui la Cote d’Ivoire au moment de la guerre. On lui demande des preuves, des papiers, des photos. Il dit :

–       Comment prendre des photos de soldats qui tuent ta famille ? Comment faire des papiers quand tu fuis la mort, quand ceux qui donnent les papiers sont ceux qui veulent te tuer ? Mes preuves, c’est ma parole, c’est ce que j’ai vu, c’est ce que je dis. mais ici, ma parole ne vaut rien.

Modibo, attend, tête baissé, il écoute calmement. Lui aussi raconte, la misère, le désir de s’en sortir, le grand-père qui a fait la guerre pour la France, le rêve né sur les bancs de l’école à apprendre cette langue des droits de l’homme. La galère depuis six ans, les travaux durs dehors, sous la pluie dans le froid. Le mensonge sur ce pays qui n’est pas une terre d’accueil. La volonté d’être considéré comme un homme, de ne plus être exploité, de ne plus être obligé de se cacher, de fuir devant les uniformes. Le combat, la dignité.

Welcome Homme Welcome

Salimata est là depuis vingt ans. Elle a connu l’angoisse des sans papiers. Elle dit qu’il n’y a pas de mot pour dire la peur d’un sans papier, la peur de sortir, la peur d’être attrapé, la peur pour elle, pour ses enfants qu’elle n’ose aller chercher à l’école. Vivre cachée, terrée, tête baissée dans l’ombre de la vie, dans l’ombre de la ville. Elle raconte le travail, l’exploitation, les levers à quatre ou cinq heures du matin pour aller faire le ménage dans les bureaux de grande société.

Aujourd’hui, elle a ses papiers, elle est en règle. Elle peut voyager librement. Elle est retournée deux fois au Mali voir sa famille.

Elle raconte qu’elle a chez elle une paire de baskets blanches. Ces chaussures sont celles d’un homme, son ancien ami. Il était venu en France. Il était clandestin, sans papier. La police l’a attrapé, expulsé. C’était en 2005. Il y a eu un comité de soutien pour empêcher tout ça mais ça n’a pas suffi. Le jour où son avion a décollé de Roissy, des hommes, des femmes se sont rassemblés pour empêcher ça. Mais ça n’a pas marché. Salimata était là. Elle voulait le voir, le revoir avant son départ. Elle avait préparé un sac avec quelques affaires et ces baskets blanches. Elle voulait lui donner ces affaires mais on l’en a empêché.

–       Non madame. Vous n’avez pas le droit.

Pas le droit d’embrasser une dernière fois. Pas le droit  de rendre les chaussures. Pas le droit de dire au revoir. Le droit pas. L’avion est parti pour le Mali, sans un au revoir. L’homme sans ses baskets. C’était en 2005.

Salimata a reçu un coup de téléphone l’an dernier, en octobre 2008. Un ami l’a appelée de Mauritanie. Un coup de téléphone. Un coup. Son ami sans argent avait tenté de revenir en France, il a pris une barque et la barque s’est renversée. Il est mort. Salimata a ses affaires chez elle. Cette paire de baskets blanches. Elle ne sait pas quoi en faire.

WELCOME est écrit sur le paillasson. Homme paillasson.

Je traverse la page à la rage, l’eau est glacée. Sur la terre de France. La terre est lourde.

Bonjour à toi fils de lumière, enfant d’Afrique, mon frère.

La terre est lourde en ces jours nouveaux, lourde de menaces et de crainte.

La terre est lourde quand elle est aux mains d’hommes cupides et malfaisants.

L’histoire est un fleuve dont les crues sont terribles quand le pouvoir est aux mains de hyènes aux masques et aux voix de sirènes, quand le pouvoir puise sa force dans la haine et joue à distiller la peur dans le cœur des hommes.

La terre est lourde quand le doigt qui nous gouverne est drapé de noir et enterre l’histoire au nom de la patrie, du sang versé et de héro collabo. Et pire, quand ce doigt pointe l’étranger, le sans grade et sans papier.

La terre est lourde quand le fort opprime le faible, quand la terreur et l’inquisition sert d’argument politique, quand le discours des urnes jette en pâture à la foule aveugle, l’enfant sans mot et sans droit, l’enfant de la misère qui n’a que des pierres et des mots bourrés de fautes pour se défendre.

La terre est lourde et il faut forger de nouveaux muscles pour y marcher, il faut forger des corps plus forts pour s’y dresser, il faut de nouvelles voix plus fortes que le bruit des fanfares serviles et flatteuses.

Que viennent en nos gorges brisées des cris puissants d’humanité, des chants de liberté. Rester un homme de cœur et de cause, ne pas abandonner l’autre.

La terre est lourde et je te serre dans mes bras, mon frère, avec joie et grand sourire de savoir que la vie est un miracle sans fin et l’espoir entre nos mains.

WELCOME Homme. Welcome…

Noël et jour de l’an à camper sur le trottoir. Noël et jour de l’an sous le froid et la neige. Bonhommes d’hiver noirs. Cercles d’hommes autour des braseros. Le boulanger Marocain qui vient apporter le pain. Des voitures s’arrêtent, un puis un puis une, descendent, viennent saluer, apporter vêtements chauds, sacs de charbon, un peu d’argent, une marmite de soupe chaude. La solidarité en sourire de chaque jour pour réchauffer les cœurs. Les corps ont  froid. Froid.

Lasssana, Malamina, Modibo, Tidian, Safia, Dousso et les autres. Avec pour seul espoir la lutte, des papiers en règle pour vivre à visage découvert. Papier d’espérance.

Vendredi 15 janvier, usés, fatigués, moins nombreux, la police les a délogés, expulsés, chassés. La rue nettoyée est redevenue propre sans tente et sans saleté, sans banderoles et sans papier. Sans Papiers où êtes-vous ?

Welcome homme, Welcome

Demain de Vitry à Nice, Demain de la Bastille à la nation, demain à la République, les pas des hommes sans papier mais pas sans identité résonnent sur le pavé et nous sommes à leurs côtés dans leur lutte pour la jsutice et l’égalité. Nous sommes à leurs côtés en toute fraternité.

Welcome Homme ! Welcome !

Ludovic Souliman, décembre 2011.